Cet ouvrage se défend d'être une autobiographie mais il en a fort l'air. Dominique Grange, compagne de Jacques Tardi, a été une chanteuse engagée maoïste dans la période 1968-74. Ce sont ces années que cette bande dessinée retrace en jouant un peu avec la chronologie.
C'est du Tardi : touchant dans les lieux que l'on croise (ha, ces escaliers de la Sorbonne occupée...), avec ces grosses paluches improbables. Ici, le récit est assez resserré, comme un témoignage que l'on retrace, et l'intrigue évite donc de se perdre dans un style roman-feuilleton. On est plutôt dans la reconstitution, une reconstitution à hauteur de maoïste, qui se situe donc entre les quatre roues d'une 2CV, les locaux d'usines devant lesquels on manifeste, les appartements miteux, les troquets où l'on rédige un tract sur un coin de table. On croise beaucoup de jeunes gens habités par les écrits de Mao Tsé-toung, et il y a de tout parmi eux, mais il y a semble-t-il une émotion commune et une solidarité. Une même haine des flics aussi.
Le livre retrace beaucoup de conflits sociaux de l'époque gaullienne, l'occasion de rappeler la brutalité du dialogue social sous Mongénéral, avec la mention de morts et de centaines de blessés dans certaines manifestations. A croire, au fonds, que mes années de jeunesse étaient une parenthèse bénie pendant laquelle on pouvait manifester pépère. Pour ce côté historique, ce côté "j'ouvre la boîte à chaussure et je reprends mes archives", cette bande dessinée est très touchante. Elle garde la critique du maoïsme pour le post-scriptum, pour se concentrer surtout sur les galères, les moments de grâce, les moments d'abattement, bref les hauts et les bas de jeunes gens énervés et déterminés à aider l'avènement de la révolution mondiale. C'est presque un vademecum de ce qu'il faudrait savoir refaire aujourd'hui pour retrouver une capacité à être solidaire de ceux qui sont écrasés par le capitalisme.
Un fort bel ouvrage, salutaire. Décidément Tardi, en vieillissant, sait ramasser son propos pour aller à l'essentiel.