Entre fiction historique et autobiographie, « Elise et les nouveaux partisans » raconte le parcours militant d’une chanteuse, depuis son arrivée à Paris en 1958 pour ses études jusqu’à la fin des années 70. Engagée dans la lutte contre les injustices sociales, la jeune femme, comme beaucoup d’autres de sa génération, croyait en un mouvement populaire inspiré des doctrines maoïstes pour changer la société. Avant de s’effriter dans les brumes du temps, ce mouvement puissant et déterminé fit trembler les gouvernements du monde entier pendant plusieurs mois dès 1968.


« Elise et les nouveaux partisans » n’est pas la première collaboration entre Jacques Tardi et Dominique Grange. Les deux auteurs, mariés à la ville, ont déjà travaillé ensemble notamment sur « Le Dernier Assaut », un ouvrage consacré à l’horreur de la Grande guerre. Ici, quoi que Dominique Grange s’en défende dans le dossier de presse, c’est bien la militante qui raconte son histoire à travers Elise et les mouvements sociaux de l’époque, tandis que son dessinateur de mari la met en images avec un regard non dénué de tendresse.


Le livre débute par un rappel historique : la noyade des Algériens dans la Seine en 1961 sur ordre du préfet de sinistre mémoire Maurice Papon. L’événement fut l’élément déclencheur pour l’engagement d’Elise dans les grandes causes des années 60-70. Le récit va ensuite nous emmener dix ans plus tard dans le nord de Paris, à l’époque où la répression battait son plein dans le sillage du mouvement soixante-huitard. Elise vient d’être victime d’une explosion dans l’appartement où elle et ses compagnons de lutte confectionnaient des cocktails molotov dans la clandestinité. Réfugiée chez des amis après avoir été brûlé au visage, elle va profiter de sa convalescence pour raconter son histoire.


La parution d’un album de Tardi étant toujours un événement, on était plus qu’impatient de découvrir « Elise et les nouveaux partisans ». Le bédéaste valentinois n’a pas son pareil pour restituer avec réalisme les atmosphères du passé, en particulier lorsque cela se passe à Paname et dans sa banlieue. Comme on pouvait s’en douter, c’est une réussite sur ce plan, et le lecteur se voit immergé dans cette période turbulente où lutte et solidarité voulaient encore dire quelque chose. Les mauvaises langues pourront arguer que l’auteur ne s’est jamais tellement renouvelé dans son dessin comme dans ses sujets, mais ceux qui l’apprécient savent que Tardi ne s’est jamais situé (ou si peu) dans une quête esthétique. Il fait du Tardi, point barre, et le lecteur sait pratiquement toujours ce qu’il va y trouver et n’en ressort que rarement déçu. Pacifiste convaincu, Tardi sait concevoir des ouvrages marquants dans un état d’esprit un brin anar tout en évitant les écueils d’un prosélytisme assommant.


« Elise et les nouveaux partisans », qui tranche quelque peu par son côté militant, demeure une lecture plaisante, notamment par sa coloration nostalgique qui plaira aux plus anciens d’entre nous. Ce témoignage d’une actrice du mouvement de la gauche maoïste peut supporter une double grille de lecture, faisant autant office d’ouvrage militant que de document historique, et sa réussite tient en grande partie au talent de Tardi. Les auteurs nous rappellent de manière pertinente que lorsqu’il s’agit de rétablir l’ordre, la France se révèle plus souvent comme un Etat policier digne des pires dictatures bananières que comme le Pays des Lumières fantasmé lors des commémorations complaisantes, un constat que l’on a pu vérifier lors du mouvement des Gilets jaunes. On peut toutefois regretter qu’il se restreigne au récit historique, comme si les clichés d’une époque révolue avaient été consignés dans un album photo, de façon peut-être un peu trop respectueuse et déconnectée de notre réalité de 2021.


Cela n’empêche pas Dominique Grange d’espérer que « les jeunes générations s’empareront de tout ça comme la sienne s’est emparée des idées de la Commune ». Il serait trop facile de trouver cela désuet, comme il est de bon ton de le faire avec tout ce qui a trait à mai 68. Certes, on parcourt l’ouvrage un peu comme un vieux film qu’on regarderait avec ce sentiment mêlé de déférence et de condescendance. Il faut dire que le contexte était très différent, notamment en France où le Gaullisme tentait d’imposer sa chape de plomb, et les crises post-Trente Glorieuses n’étaient pas encore passées par là.... La détermination et l’énergie de ces jeunes militants forçait le respect. Leur naïveté et leur spontanéité désintéressée étaient touchantes, et le demeure encore aujourd’hui pour le lecteur, qui lui, sait à l’avance qu’ils se cogneront au mur de la prosaïque réalité, et qu’une bonne partie aura depuis retourné sa veste face aux sirènes néolibérales.

LaurentProudhon
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le 26 févr. 2022

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