Elon Musk, c’est d’abord l’homme le plus riche du monde, devant Bernard Arnault. Mais comment cet entrepreneur, à la tête de X (ex-Twitter), de SpaceX et de Tesla, en est-il arrivé là où il est ? Comment l’homme qui a grandi en Afrique du Sud et à qui tout semble réussir, a-t-il grandi et construit sa fortune colossale ? Cet ouvrage, en revenant sur le parcours de l’homme qui veut emmener l’humanité vers les étoiles et trempe parfois son museau dans la politique, nous dévoile aussi ses aspects les moins reluisants, voire les plus inquiétants.

Alors qu’Elon Musk est devenu une personnalité publique de premier plan, non seulement par sa fortune qui en fait « the richest man on Earth ever » mais par ses prises de position politiques, cet ouvrage arrive à point nommé, alors même qu’il a annoncé son intention de déplacer les sièges californiens de SpaceX et X vers le Texas, en raison d’une loi visant à protéger les élèves transgenres en Californie. De plus en plus enclin à soutenir les positions d’extrême-droite, l’homme d’affaires a annoncé également soutenir la campagne de Donald Trump à hauteur de 45 millions de dollars.

La lecture d’« Elon Musk – Enquête sur un nouveau maître du monde » semble donc essentielle pour mieux faire connaissance avec cet homme qui passe aux yeux de beaucoup pour un visionnaire audacieux et conquérant. En cela, l’ouvrage de Darryl Cunningham est à la hauteur de nos attentes. Extrêmement bien documenté, il décortique de façon factuelle l’enfance et le parcours de celui qui se situe à mi-chemin entre l’inventeur fou et l’homme d’affaires cynique, accusé de fraudes boursières à maintes reprises. Tout son succès semble s’être construit sur des coups d’éclat pour des projets extrêmement aventureux dont beaucoup ont échoué ou n’ont abouti que partiellement, en deçà des promesses faites. Mais les fanfaronnades de cet as de la com lui auront suffi pour bâtir sa fortune, selon un parcours où les déboires ont pourtant été nombreux. Si l’on excepte Tesla et SpaceX, qui ont atteint un certain niveau de pérennité, on pourra citer les exemples de l’Hyperloop (qui depuis a été remisé dans les cartons) ou de The Boring Company, un réseau de transport souterrain au sein des villes dont un seul a vu le jour à Las Vegas. On daignera volontiers oublier les crashs à répétition des fusées Falcon, mais pour ce qui est de Tesla en revanche, la voiture autonome promise il y a dix ans semble accuser quelque retard…

Bref, on l’a bien compris, Musk est à la base un entrepreneur hors normes, comme ont pu l’être Bill Gates ou Steve Jobs en leur temps. Et toute l’histoire pourrait s’arrêter là, s’il n’y avait les autres facettes moins réjouissantes de ce touche-à-tout milliardaire… Il n’est pas question de dévoiler ici en détail le contenu du livre, mais lorsqu’il est question de politique ou de vie privée, on peut sincèrement s’interroger sur l’équilibre mental d’un homme aux actions souvent dictées par l’impulsion et un autoritarisme congénital.

Si l’on sait que ses méthodes managériales peuvent s’avérer brutales (ce dont on a eu confirmation lors du rachat de Twitter où la moitié des effectifs ont été supprimés), le documentaire nous explique aussi comment l’acquisition du réseau social à « l’oiseau bleu » (devenu X depuis) a été principalement pour Musk un outil de communication politique, tandis qu’il se sentait de plus en plus proche de l’idéologie des extrémistes de droite aux Etats-Unis. Celui-ci ressentait le besoin de libérer la parole qu’il s’indignait de voir « réprimée » sur Twitter, alors que ses modérateurs ne faisaient qu’endiguer les discours les plus haineux. Il faut dire que l’homme, qui durant son enfance faisait pourtant figure de geek à l’esprit scientifique, est loin d’être hostile aux théories complotistes, s’étant même dressé vent debout contre la fermeture de son usine Tesla à l’époque du Covid.

Depuis, une enquête a montré que les infox et contenus insultants, racistes ou antisémites, généralement influencés par les thèses des nationalistes et suprémacistes blancs, ont augmenté de façon significative. On découvrira aussi que sa notion de la liberté d’expression est à géométrie variable, et s’établit en fonction de ses intérêts économiques et des dictateurs en place, qu’il s’agisse de la Chine ou de la Turquie, où les accès à des contenus protestataires ont été filtrés.

Sa vie privée n’est pas non forcément plus le modèle à suivre pour ce caractériel sous kétamine qui sait afficher une certaine bonhommie lorsqu’il est sous les feux de la rampe. Une de ses anciennes épouses, Justine Musk, a révélé le comportement toxique, autoritaire et machiste, de celui qui a enchaîné les divorces aussi sûrement que les crashs de ses fusées. Quant à ses enfants, certains ont de très mauvaises relations avec lui, notamment Vivian Jenna Wilson, sa fille transgenre qui a même opté pour un changement de patronyme. Ce qui, on est en droit de le supposer, pourrait avoir joué en faveur de ses récentes prises de position anti-woke.

Bien sûr, on peut concevoir que le personnage suscite le rêve avec son ambition d’emmener dans des délais courts l’humanité vers les étoiles, mais il possède une face sombre qui peut s’avérer inquiétante dans une même proportion. Même s’il serait risqué d’en tirer des conclusions hâtives, on peut toutefois mettre en perspective son côté dominateur avec son enfance dans l’Afrique du sud de l’Apartheid, aux côtés d’un père violent qui fit vivre l’enfer à sa mère Maye.

Quoi qu’on en pense, l’exhaustivité documentaire du livre est telle qu’elle permettra à chacun de faire sa propre analyse. Ses aficionados pourront objecter que le style de l’homme, brillant quoi qu’on en dise, dérange, lequel se résumerait en fait à « faire de grandes déclarations ambitieuses, définir des échéances irréalistes, puis pousser ses employés à accomplir des miracles ». Mais de là à voir un génie doué d’intelligence visionnaire, il ne faudrait tout de même pas pousser mémé dans les orties ! Car Cunningham nous avertit sur sa vision « long-termiste » discutable voire extrêmement dangereuse du monde, laquelle consiste à se détourner des crises mondiales actuelles pour privilégier l’avenir de l’humanité… Dans cette perspective, « les besoins d’à peine huit milliards d’humains ne pèsent rien face à ceux des trilliards appelés à vivre après eux ». De quoi nous rassurer quand on met un enfant au monde aujourd’hui…

Grâce à un dessin certes sommaire mais accompagnant ce documentaire avec une pertinence à la coloration légèrement ironique, l’auteur réussit à nous intéresser en braquant le projecteur sur cet hyper mégalo qui préfèrerait sûrement choisir le projectionniste. Cunningham nous livre un portrait à charge, certes — et comment aurait-il pu faire autrement ? —, mais surtout un travail journalistique indispensable afin d’avoir un meilleur aperçu de ce qui se cache derrière le masque de ce « nouveau maître du monde », qui pourrait bien briguer un jour, de façon peu surprenante, la présidence des Etats-Unis.


LaurentProudhon
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le 16 oct. 2024

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