One-Shot historique,
Emmett Till raconte le meurtre sauvage et raciste d’un jeune adolescent afro-américain descendu de Chicago pour quelques jours auprès de son oncle et de ses cousins dans les champs du Mississippi : premières vacances et dernier séjour d’un garçon ordinaire. Si l’histoire est méconnue, elle précède pourtant les grandes avancées du mouvement citoyen pour la liberté des hommes et des femmes de couleur aux États-Unis, et l’on y apprend que le refus de Rosa Parks de quitter son siège au bénéfice d’un blanc trouve ses racines dans l’affirmation d’une reconnaissance égale face à la justice après que les deux meurtriers du jeune Emmett Till aient été acquittés malgré l’ensemble des preuves et des témoignages accumulés contre eux.
Récit historique avant tout, Emmett Till se pose dans l’Amérique schizophrène des fifties : tolérance et semblant d’égalité citoyenne dans le quotidien au nord du continent, racisme violent et ségrégation véhémente dans les états du sud. Le scénario insiste bien sur ce point, à plusieurs reprises, pour expliquer le comportement libre et enjoué d’Emmett Till, jeune noir progressiste de Chicago qui ne peut se contenter d’accepter les regards de travers ou toute autre forme de discrimination. Entre le séjour de l’adolescent dans le sud et le témoignage contemporain d’un vieux guitariste, le récit se fait sur
les prises de conscience ultérieures de ces petits riens insignifiants qui ont fini par amener le meurtre.
Arnaud Floc’h conte le racisme ordinaire, rappelle l’effronterie innocente du petit gars du nord qui ne comprend pas les dangers réels de la mentalité du sud, et esquisse la violence en ombres et nuits sans en faire le sujet principal, sans chercher le choc. Si le récit est dur, c’est de cette absence d’humanité qui fait le racisme : jalousie animale, dégoût de soi et peur de l’autre, muscles et grandes gueules par-dessus les rares connections neuronales. Si le récit est dur, c’est aussi parce qu’il reste actuel : que
tout ce qu’il décrit existe encore
dans les rues mêmes de nos sociétés pas si modernes que ça.
Le dessin d’Arnaud Floc’h est plutôt académique : pour son histoire américaine, l’artiste se laisse tenter par l’attrait de l’Ouest américain, faisant de ce petit coin de Mississippi un lieu aride et sec, comme ses habitants. Le trait joue l’époque, ronde et pleine d’espoir, caractérisée par les mécaniques automobiles qui y apparaissent, mais
la qualité graphique est parfois avortée dans le manque d’expressivité des portraits principaux.
Dans l’ensemble agréable, il manque un peu de tranchant pour exacerber les malaises réguliers autant que l’horreur. Le choix qui s’apparente à un cocooning de préservation, à une tentative de politiquement correct quand le récit aborde l’horreur, l’acte révoltant et condamnable de deux animaux stupides, le racisme, ce choix donc, semble léger. Presque un contresens.
Si Emmett Till a intensément choqué mon ainé de quatorze ans, atteignant là son dessein didactique, j’ai pour ma part était moins touché par
ce récit un peu trop factuel et du coup survolé,
loin du cœur de ses personnages, et donc difficilement accessible par l’affect : indispensable pour la lumière qu’il met sur un événement crucial et pourtant méconnu de l’histoire moderne américaine, l’album passe malheureusement à côté de l’impact idéal, loin de la transmission identificatrice parce qu’il manque cruellement de profondeur émotive et qu’il laisse, du coup, le cœur et la conscience en paix. Laisse le lecteur aguerri froid.
C’est réellement dommage.