Ça devait bien finir par arriver ! Cette fois, David Snug, trublion incontrôlable de la bédé libertaire s’en prend, comme le suggère le titre très explicite, à Macron et à sa clique, même si, comme à son habitude, il tire un peu à vue sur tout ce qui l’énerve d’une manière générale. Mais les nombreuses manifs contre la loi sur les retraites du printemps dernier, qui n’ont pas fait céder « Jupiter » et se sont conclues par un brutal 49.3., l’ont convaincu de dégainer ses crayons : le mépris et l’autoritarisme assumés de l’exécutif ne devaient pas rester impunis !
De la part d’un bédéiste qui sort des cases, il est assez logique de ne pas mettre de case dans sa bédé. En effet, David Snug refuse autant les étiquettes que le système, et à cet égard, il n’y a guère qu’avec l’anarchisme, le gros mot qui fait peur au bourgeois, qu’il pouvait se trouver des affinités. Car le bourgeois, tout comme la meute d’électeurs acquise aux bienfaits d’un système qui en vérité la méprise, n’aime pas les tire-au-flanc. Et David Snug en est un, et même un magnifique spécimen ! Un brin décalé, totalement décomplexé, non-violent assumé, plus wawache que black bloc, et qui plus est a l’outrecuidance de faire marrer son audience !
Notre sympathique anar égrène à travers ses strips à longueur variable son aversion pour le système et la bêtise, avec un sens de l’autodérision et de la punchline irrésistibles. S’il s’en prend avec une nonchalance caustique à Macron, Darmanin, Borne et consorts, le reste de la classe politique n’est pas épargné, tout comme les médias détenus par Bolloré et ses chiens de garde Praud et Hanouna. Mais Snug aborde aussi les thèmes de l’époque, l’écologie, la bouffe, la consommation et les panneaux publicitaires, mais aussi sa détestation du sport et des JO à venir (« L’important c’est de ne pas participer ! »), les gros festivals comme le Hellfest (« Dormir dans un camping avec des gens bourrés, ça me fait chier ») ou la fête de l’Huma (où l’on doit présenter un QR code à l’entrée) et Fabien Roussel (qui se déplace toujours avec ses gardes du corps), ou encore le film « Oppenheimer », qui attribue la célèbre formule de Proudhon, « La propriété c’est le vol », à Karl Marx (sic)…
Mais la « star de la bédé underground de gauche » n’oublie pas de rappeler quelques vérités historiques et n’hésite pas à égratigner Mitterrand et son « gars sûr », Jacques Delors, à l’origine de la désindexation des salaires en 1983 ! Il confesse par ailleurs son admiration pour son « anar préféré », Elisée Reclus, géographe français du XIXe siècle, qui considérait l’anarchie comme « la plus haute expression de l’ordre. »
David Snug ne sait pas « dessiner » mais il s’en fout. Ses personnages ont l’air statique, avec les mêmes postures un peu balourdes, bras raides et dos voûté. Son style est pourtant très adapté à un genre plus proche du dessin de presse que de Largo Winch ! Et puis on l’aime bien ce trait minimaliste net et sans bavures, avec ces mignons petits cacas qui essaiment à quasiment toutes les pages, ces oiseaux obèses au vol paresseux, tous ces animaux à la mine engourdie, ces arbres ronds et ces fleurs des champs disséminées un peu partout, bref, tout ça donne un dessin très vivant et joyeux qui vient équilibrer le sérieux du propos, avec un côté graphique pas déplaisant. Sans vouloir cataloguer l’auteur, on pourrait le placer quelque part entre Geluck (en moins consensuel) et Charb (en moins méchant).
Quand on a terminé le livre, la première chose qu’on se dit est qu’on n’a pas perdu son temps ! « En marche ou grève » est à la fois drôle et instructif, branché sur une actualité pas très fun mais pas plombant pour autant car l’ensemble est plutôt hilarant. Certes, certaines vérités énoncées ne nous feront pas forcément plaisir en nous confrontant souvent à nos propres contradictions. On pourra aussi être déroutés par moments, par exemple quand il parle de Gaspard Proust comme du « nouveau comique d’extrême gauche », ou du fait que Thiéfaine, « star du show-biz » (sic), « aurait » été amené en hélicoptère à la fête de l’Huma, sans que l’on parvienne à deviner si c’est de l’humour (ou alors au 16e degré).
Néanmoins, on ne saurait en vouloir à David Snug, qui avance quelques arguments irréfutables, frappés au coin du bon sens, certes pas toujours avec la meilleure foi du monde (mais on s’en fout, du moment que c’est golri) et pas toujours avec diplomatie (mais la diplomatie est-elle l’attitude la plus appropriée face au mépris désinvolte du pouvoir ?). Arguments auxquels les plus blasés ou les plus réactionnaires rétorqueront qu’il n’est qu’un doux rêveur. Mais par un processus étrange, le bougre a quelque chose de singulièrement attachant, non seulement parce qu’il est drôle mais aussi peut-être parce qu’il donne cette impression à travers son livre de nous parler comme si l’on était face à lui, accessoirement autour d’un verre. Avec « En marche ou grève », le camarade Snug prouve au moins qu’on peut être militant et pas chiant pour autant… C’est cocasse, non ?