Corto, l’Afrique et la relique mystérieuse

Un Loup n'avait que les os et la peau ;
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
(…)
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
(..)
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu'est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché…
(1)


Les temps sont durs pour les auteurs de bandes dessinées, la concurrence forte et les ventes maigres. Comment résister à la tentation à laquelle céda notre ami le dogue ? Gite et pitance grasse. Gros tirages et dédicaces. Quel est le prix à payer ? Que cache le collier ? L’abandon de toute œuvre personnelle, une créativité bridée et un travail de forçat. Un album par an, c’est la règle. Juan Díaz Canales et Canales Rubén Pellejero n’y coupent pas.


Je devine le cahier des charges imposé au scénariste : une mer, trois villes au minimum (Venise, Alexandrie, Zanzibar et Équatoria (sud Soudan)), deux combats, trois femmes, une séance de name droping (lord Byron, le prêtre Jean, Winston Churchill, le poète Constantin Cavafis, Henry de Monfreid et Emin Pacha), un ancien personnage de Prat (le jeune lieutenant Tenton des Scorpions du Désert remplace Raspoutine) et une once de fantastique. Le rythme est moins frénétique que celui de Sous le soleil de minuit. Juan Díaz Canales ménage à Corto des temps de repos, de rêverie, de nonchalance. Aïda, Ferida et Afra sont belles, indépendantes et courageuses. Les hommes sont moins bien traités, veules, corrompus ou malades.


Le dessin est très bon. Rubén Pellejero a pris une bienvenue distance avec son modèle. Ses décors sont plaisants, ses ombres et ses cadrages magnifiques, la longue silhouette de Corto bouge bien. Hugo Pratt aimait jouer avec des détails, les grossissant, avant de reculer et de nous surprendre. Pellejero nous offre une séquence de zoom sur le pelage d’une girafe, en première case et de la première page. Le procédé sent le racolage, mais que ne nous pardonnerions pas aux amis de Corto ? Pas mal.


Que dis-je, c’est bon, même très bon. Ne boudons pas notre plaisir, le scénario est envoutant, le trait audacieux. Comme quoi, une série peut être reprise avec talent, une fois n’est pas coutume ! Foncez.


(1) Le Loup et le Chien, Jean de la Fontaine

Créée

le 11 oct. 2017

Critique lue 818 fois

16 j'aime

Step de Boisse

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