La neige continue de tomber sur les couvertures de Erased, et ce volume offre une belle conclusion à l'histoire proposée par Kei Sanbe.
Arrête-moi si tu peux
Nous avons droit au grand final entre Satoru Fujinuma et l’assassin qui l’a plongé dans le coma pendant 15 ans. Une partie d'échecs dynamique se joue, où Kei Sanbe maîtrise parfaitement les codes du genre pour faire monter la tension en quelques cases, induire le lecteur en erreur en usant de la manipulation narrative…
Le cadre retenu s’y prête d'ailleurs tout particulièrement : en se rendant au Parc de l’étang des camélias, les personnages vont, sur fond d’ambiance légère et de festivités, se retrouver dans un environnement propice aux surprises, entre étangs, forêt, ombres et chalets dispersés. Le contraste entre le calme du lieu et l’activité de Satoru, Kenya et du coupable ne fait que renforcer le suspense.
Si une conclusion heureuse – et moins précipitée que celle de l’animé – nous attend, Erased nous offre aussi un dernier chapitre se déroulant sept années plus tard. Une sorte d’épilogue qui gagne à être mis en regard avec les premiers chapitres du manga tant Satoru voit sa vie évoluer. Les dernières pages nous comblent un peu plus encore.
La force des liens
Pourquoi Erased est-il un si bon manga ? Pas simplement parce que Satoru possède un don exceptionnel, ni à cause du coup de crayon de l'auteur, efficace pour capturer les expressions et la « nature » des personnages. C’est aussi, et peut-être surtout, parce que Kei Sanbe touche à des sujets qui parlent à tous tout en nous offrant nombre d’instants de vie qui ne laissent pas indifférents. Le bond dans le passé qu’effectue Satoru nous offre alors l’occasion de replonger dans le quotidien des écoliers (un brin de nostalgie pour les lectrices et lecteurs qui ont déjà dépassé cet âge ?).
L’auteur a parfaitement géré le rôle et la place de chacun des personnages, principaux comme secondaires, il a développé avec la mère de Satoru, Sachiko, une des meilleures mères vues dans un manga. Elle montre une famille monoparentale dans son quotidien, et développe toute une panoplie de qualités, d’intuitions, de manières d’être et de faire qui la rendent éminemment sympathique. Il n’est pas exagéré de dire que c’est elle l’héroïne de la série !
Effet papillon
Voyager dans le temps est une activité qui n’est pas sans risque. On garde en mémoire la nouvelle de Ray Bradbury, A Sound of Thunder ou le film l’Effet papillon. Toutefois, dans Erased, Satoru ne maîtrise pas son pouvoir. Ce dernier s’impose à lui en fonction des circonstances.
Ce pouvoir peut s’analyser comme une seconde chance qu’il faut saisir quand elle se présente. Le manga nous montre qu’il faut aller de l’avant. Le saut dans le temps (la « rediffusion ») est l’impulsion initiale à partir de laquelle l’histoire se met en branle et ce n’est pas un hasard si Satoru n’a plus de rediffusion suite à sa sortie du coma. Il a été le héros et l’individu qu’il pouvait/devait être : désormais, il pourra continuer sa vie de héros et/ou de mangaka sans ce pouvoir, son autre vie s’effaçant peu à peu de sa mémoire. Satoru est ainsi redevenu celui qu’il était, animé des mêmes sentiments et la rencontre finale représente sans doute le plus beau cadeau qui pouvait lui être fait.
« Là où tu tombes, trace une nouvelle ligne de départ »
Avec Erased Kei Sanbe nous offre un manga que l’on n’oubliera pas et qui appuie sur un point éminemment important : la vie est faite de hauts et de bas et face à cela il ne faut pas baisser les bras, être passif et subir mais, au contraire, faire face en s’appuyant sur les liens qui nous entourent. Surtout, le manga suggère que l’héroïsme est l’affaire de tous. Les héros du manga n’ont pas tous un don comme Satoru. Il y a des héros ordinaires et un héroïsme qui se joue au quotidien : c’est un travail constant où l’on protège les autres, où l’on fait et prête attention aux autres et à soi. L’individu en sort alors augmenté, grandi, et ce message qui irrigue le manga est encore plus important à une époque où l’on s’inquiète de la montée des solitudes.
Critique version illustrée et rallongée à découvrir ici.