Et l'île s'embrasa
7.7
Et l'île s'embrasa

Roman graphique de John Vasquez Mejias (2020)

1950. Au bout de 5 décennies sous le joug états-unien, une insurrection éclate sur l’île de Porto Rico. Interdits en temps normal d’arborer le drapeau portoricain, les insurgés le brandissent fièrement dans les villes reprises aux autorités coloniales. Les commissariats sont assiégés, et les listes d’appelés contraints de rejoindre l’armée américaine sont brûlées. Mais le vent de liberté qui souffle sur la péninsule ne dure pas : la révolte est écrasée par la force militaire, avant de sombrer dans les abîmes de l’oubli. À l’époque, la presse américaine relata « un incident entre portoricains ».


Scénario : Artiste d’origine portoricaine vivant dans le Bronx, John Vasquez Mejías rétablit la mémoire d’une page méconnue de l’histoire d’une nation victime de l’impérialisme américain. Il met au centre du récit les principaux acteurs du mouvement indépendantiste portoricain comme son leader légendaire Pedro Albizu Campos. Outre les crimes de la CIA, son livre rappelle aussi que l’insurrection s’est exportée sur le sol américain, lorsqu’un indépendantiste a tenté d’assassiner le président Truman.


Dessin : Dans la tradition du roman en gravures engagé que plusieurs éditeurs français remettent au goût du jour, Mejías s’empare de la forme brute des gravures sur bois. Sculptant chaque case avec sa gouge d’artisan, il construit une mosaïque de visages et de décors d’une puissance esthétique hors du commun. Professeur de dessin dans les quartiers populaires new-yorkais, il a patiemment bâti cette œuvre sur plusieurs années en travaillant le soir après les cours.


Pour : Loin d’une simple lubie d’artiste, le choix de la gravure répond à la nécessité pour l’auteur de graver l’histoire d’une révolte dans l’esprit du lecteur. Avec leurs compositions éclatées et leurs images spectaculaires, certaines planches marquent la rétine.


Contre : En défiant les règles de la lisibilité et de la narration en bande dessinée, cette forme gravée prend aussi le risque de paraître aride aux yeux de certains lecteurs.


Pour conclure : Plus de 70 ans plus tard, Porto Rico demeure sous domination américaine, sans pour autant compter parmi les 50 étoiles du drapeau des États-Unis. La résistance continue elle aussi : en 2019, 500 000 portoricains sont descendus dans la rue, poussant à la démission leur gouverneur accusé de corruption.


Cette critique devait initialement paraître dans le numéro 170 de la revue Casemate.


Marius_Jouanny
9
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le 3 août 2023

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Marius Jouanny

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