Mangaka rare de son état, Taketomi Tomo tenait en Evil Heart son œuvre phare : un seinen initiatique édité en six volumes chez Big Kana, pour lequel il est aisé d’éprouver une véritable sympathie, lecture après lecture. Un constat prévalant toujours bien que, fatalement, le recul mette en lumière d’évidentes limites d’ordre narratif : car s’il est intrinsèquement brillant in fine, ses messages pâtissent d’une exécution parfois maladroite, car notamment assujettie à de grosses ficelles rimant avec coïncidence.
Mais revenons-en à ses fondations : chez les Masaki, les crises passées présagent de celles futures. Profondément affectés par la violence, insidieux flambeau transmit de père en fils, les protagonistes de cette famille japonaise ordinaire en surface évoluent sur un fil tranchant : une spirale perverse ayant aboutit à l’emprisonnement d’une mère à bout et, en réponse, la funeste promesse d’un matricide contre lequel le benjamin, pourtant si jeune, ne peut qu’adopter l’agressivité familiale pour lutter… du moins le croit-il.
Loin d’être une lubie, l’introduction et l’exploration de l’aïkido va ensuite pleinement servir l’évolution de ses sujets : car cet art martial par essence défensif, auréolé de principes métaphysiques outrepassant le cadre réducteur des corps et volontés, donnera au malheureux Ume les clés de bien des rédemptions. Profondément anti manichéen, Evil Heart fait ainsi montre d’une réelle ambition, déterminé qu’il est à mettre à nu les tourments et malversations de l’âme humaine : ceci sans pour autant se départager de toutes légèretés, bienvenues nuances dans un climat majoritairement dramatique.
À ce titre, le coup de crayon de Taketomi Tomo s’avère parfait : les visages ronds, dotés de regards ô combien expressifs, insufflent une fraîcheur libératrice dans une valse de mouvements dansants, aux antipodes de sursauts terribles où la violence, impératrice destructrice, renverse tout sur son passage… jusqu’à un certain point. Et c’est bien là tout le brio du manga qui, patiemment, dévoilera le chemin menant au pardon conscient et constructif, foulant en définitive du pied cet amas de haines, ressentiments et blessures si tenaces.
Reste que, comme évoqué plus haut, il soit regrettable qu’Evil Heart force à de nombreuses reprises le destin pour mieux dérouler son récit : tant de rencontres aussi indispensables que commodes, cristallisées à merveille par un voyage canadien s’autorisant tout. De quoi priver le manga d’une appréciation frisant l’excellence, mais ainsi soit-il : nous ne bouderons pas de sitôt notre plaisir en parcourant à nouveau ses pages.