Ma vie avec Clint
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Venez découvrir une œuvre politique, un travail sur la mémoire et deux testaments, ceux d’Eva Perón et de son biographe Oesterheld.
Evita est peu connue en France, mais légendaire en Amérique Latine. Née pauvre et campagnarde, elle monte à Buenos Aires où elle parvient à se faire, difficilement, une place comme comédienne. Elle est belle, mais révoltée. Elle épouse le colonel Perón, un militaire ambitieux. Vice-président d’une junte, il se déclare prêt à jouer le jeu des élections. Ses camarades l’emprisonnent, Eva et le peuple obtiennent sa libération. Il est élu président, le péronisme est né.
Le péronisme, c’est la quête d’une troisième voie, étroite et périlleuse, entre l’ultra-libéralisme américain et le marxisme révolutionnaire. L’Argentine est sortie enrichie de la Seconde guerre mondiale. Les fortunes industrielles et agraires condescendent à alimenter des œuvres de bienfaisance. Evita récuse les aumônes et évoque des droits ! Sa fondation multiplie les inaugurations d’hôpitaux, de maisons de retraite, de foyers pour enfants ou jeunes filles isolées. Elle lutte et obtient le vote des femmes, négocie avec les syndicats, maintient une paix sociale tout en restant, toujours, dans le sillage de son mari. Elle est belle, elle est partout, elle répond aux suppliques, embrasse les enfants, mais se consume et meurt à 33 ans d’un cancer. Maladroitement, Perón la déclare chef spirituelle du pays et instaure un culte autour d’elle. Il froisse l’Église et est renversé par l’armée.
Héctor Germán Oesterheld est tout aussi légendaire. Le scénariste argentin est un héros, tragique, de la lutte contre la dictature militaire. Non seulement il sera exécuté, mais ses quatre filles, Diana (21 ans), Beatriz (19), Estela (25), Marina (18) et ses gendres sont assassinés. Il signe les biographies de deux mythes christiques contemporains : Le Che et Evita. Le guérillero barbu et la passionaria des descamisados incarnent le rêve des miséreux, l’espoir d’un monde plus juste. Tous deux ont sacrifié leur vie sur l’autel des déshérités. Si le Che lutte par les armes, Evita combat démocratiquement.
Alberto Breccia ne livre pas une bande dessinée, mais une hagiographie illustrée. Le scénario est chronologique, de sa naissance à son mariage, puis il se perd, un peu, dans la longue présentation de ses réalisations. Le dessin privilégie de grandes cases, statiques et souvent allégoriques. Evita est belle, les cheveux tirés en arrière, pensive ou souriante. Le trait réaliste est audacieux dans ses techniques d’ombrage et l’accentuation de ses contrastes.
Censurés, les originaux ont été perdus. Delcourt nous présente une version redécouverte dans les années 2000... à manier avec respect.
P. S. : Pour le centenaire de sa naissance, le 7 mai 2019, la CGT argentine a lancé une campagne pour demander la béatification d’Evita !
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Créée
le 21 mars 2020
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