Imaginez un monde où les hommes occupent toutes les instances de pouvoir, où la société commande aux femmes de tout faire pour satisfaire les moindres désirs de ces messieurs, où des normes, physiques, morales et comportementales décident de votre avenir et de votre intégration à la communauté. Imaginez seulement...


Comment ? Nous vivons dans un tel monde ? En effet, vous avez raison. Mais si notre monde recouvre tout cela d’un vernis d’acceptabilité, celui de Bitch Planet a depuis longtemps fait craqueler ces artifices cosmétiques pour révéler sous son vrai jour un tel modèle politique et sociétal. Là-bas, tout cela est ouvert, assumé et même revendiqué. Et les femmes vont devoir reconquérir droits, place et identité par la manière forte.


Un futur indéterminé donc, strictement patriarchal. Où les femmes déclarées "non-conformes", pour un X et surtout l’absence d’un Y, sont envoyées dans une prison en orbite pour y être rééduquées, à "Bitch Planet", de son petit nom. C’est là qu’atterrit Kamau Kogo, et avec elle la résistance va s’organiser, la révolution débuter.


Voilà ainsi un comics plutôt mainstream a priori - univers de science-fiction et huis clos carcéral bourré d’action - et en même temps résolument engagé et percutant. D’abord grâce à une galerie de personnages qui renouvellent le personnel habituel de ce genre d’aventures : des femmes, noires, blanches ou asiatiques, lesbiennes ou hétéros, grosses, baraquées ou fluettes, qui existent réellement, au-delà des stéréotypes, et vivent leur histoire devant nous.


Par son propos ensuite, social et politique. On a ici la mise en œuvre - au sens propre comme au figuré - d’un discours de lutte contre des inégalités caractéristiques de nos sociétés et qui confinent le plus souvent aux plus cruelles injustices. Et au premier rang de ces combats le féminisme bien évidemment, abordé selon une perspective intersectionnelle.


Côté dessin, cela pourra sembler un peu pauvre, ou raide, à certains. Il nous semble nous que le trait adopté par Valentine De Landro se prête de manière très pertinente au propos. Une représentation lisse et idéalisée de ces personnages féminins, jetés en prison parce que "non-conformes" précisément, aurait constitué une forme de contresens par rapport au projet développé. Il fallait un trait et une mise en scène qui résistent, qui évitent l’écueil de cette imagerie féminine glamour si léchée, en fin de compte déployée depuis une perspective masculine.


Au final, tout ceci installe une ambiance qui rappelle directement les films d’exploitation, ces séries B projetées dans les grindhouses. Et plus particulièrement le cinéma de genre de type blaxploitation, dont nous sommes peu familiers mais qui a irrigué la culture pop américaine, et dont l’écho se laisse entendre dans les derniers succès de Quentin Tarantino.


Bref, un comics plein, original et qui bénéficie qui plus est d’une édition de grande qualité accompagnée de nombreux bonus dont une couverture inédite, des fausses pubs entre les chapitres, un entretien avec les auteurs et un copieux et passionnant dossier sur le féminisme.


Chronique originale, et illustrée, sur actuabd.com

seleniel
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le 24 mai 2016

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seleniel

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