War zone
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Fake News, l’info qui ne tourne pas rond vient compléter un triptyque fortuit. Les éditions Delcourt ont en effet déjà publié il y a quelques semaines L’Esprit critique, une bande dessinée sur les biais cognitifs, ces mécanismes par lesquels notre cerveau tend à nous leurrer. Avant cela, c’est du côté de Dupuis qu’on avait découvert Les Complotistes, qui satirisait de manière plus détachée – et moins pertinente – la complosphère. Ensemble, les trois albums permettent d’appréhender comment le mensonge s’insinue dans le débat public : par l’attrait des théories alternatives, en raison de distorsions cognitives, via des cercles propagateurs bien établis.
Trois éléments permettent de mesurer la vigueur des fausses informations. Comme l’indique la journaliste Doan Bui dans l’album, une étude du MIT stipule qu’une fake news circule six fois plus rapidement qu’une véritable information. Or, chacun le sait, la période actuelle, sur fond de pandémie de coronavirus, est particulièrement propice aux infox, qui croissent de manière exponentielle. Selon une étude de l’Université d’Oxford, les vidéos de désinformation sur la covid-19 ont été partagées plus de 20 millions de fois en 2020 ! Il existe certes des journalistes spécialisés dans le fact-checking pour les décortiquer, tels que les Décodeurs du journal Le Monde, mais le rapport de force apparaît quelque peu disproportionné. Et Doan Bui de rappeler que de 2008 à 2019, le nombre de journalistes est passé de 71 000 à 35 000 aux États-Unis. Face à des mensonges foisonnant, et de plus en plus souvent colportés par des personnalités publiques (le cas de Donald Trump est abondamment évoqué dans la BD), les remparts factuels se raréfient.
Revenons un instant sur Donald Trump. L’ancien président américain est le héros d’une théorie complotiste servant d’assise au mouvement QAnon. Selon ce dernier, qui infuse de plus en plus dans la société américaine (et au-delà), il existerait un vaste réseau pédophile et sataniste que seul l’ancien magnat de l’immobilier pourrait contrer. C’est la pseudo-affaire du Pizzagate qui a servi d’incubateur à ces théories farfelues. Mais ce n’est pas tout : pendant la campagne présidentielle américaine de 2016, la petite ville de Vélès, en Macédoine, s’est muée en productrice à grande échelle de fake news pro-Trump. Autant de choses que Doan Bui conte par le menu dans l’album.
Aidé en cela par la dessinatrice Leslie Plée, dont les dessins et aquarelles servent pleinement le propos de Fake News, l’info qui ne tourne pas rond, la journaliste au Nouvel Observateur, ex-lauréate du prix Albert-Londres, tente un tour d’horizon de la formation et de la diffusion des infox. Elle précise que l’indignation, la colère ou la tristesse sont très valorisées sur les réseaux sociaux. L’outrage moral augmente en effet le taux de retweet de 17%. Elle s’intéresse aux « truthers », ces prétendus chercheurs de vérité pour qui la tuerie de Sandy Hook fut mise en scène de manière à permettre à Barack Obama de légiférer sur les armes à feu. Elle se penche sur les bulles filtrantes qui confirment nos croyances en ne nous proposant que des contenus similaires à ceux qu’on a déjà visionnés ou likés. Elle investigue du côté des platistes, des climatosceptiques et des anti-vax. 10% des Français estiment que ce n’est pas important de faire vacciner leurs enfants. 30% seraient sceptiques vis-à-vis des vaccins. La France est actuellement la moins bien classée, parmi 144 pays étudiés par l’institut de sondage Gallup, en ce qui concerne la confiance exprimée vis-à-vis des vaccins.
Fake News, l’info qui ne tourne pas rond abonde de données de ce genre. On y croise des personnalités aussi disparates que Jair Bolsonaro, Claude Allègre ou Greta Thunberg. On y apprend comment se forme le scepticisme, les modalités selon lesquelles il s’exprime et sur quoi il se projette. On y atteste, une fois de plus, que le mensonge constitue le meilleur moyen de discréditer quelqu’un à peu de frais. C’est ainsi que Léon Blum fut accusé de manger de la vaisselle en or, que Barack Obama a dû prouver publiquement qu’il était né aux États-Unis ou que Marie-Antoinette a vu se porter sur elle les pires rumeurs de lubricité et de perversion. Au fond, si les fake news pullulent, c’est avant tout parce qu’elles flattent l’ego (se sentir mieux informé ou plus intelligent que son voisin, penser avoir décelé la vérité là où personne n’y est parvenu) et parce qu’elles permettent d’apporter des explications simplistes à des problèmes complexes (sur la covid-19 par exemple).
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Créée
le 7 mai 2021
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