C’est-y pas drôle tout ça ? Je critiquais hier un manga dont tout me rappelait City Hunter en moins bien, tout ça pour atterrir tout aussi vite sur une œuvre de Tsukasa Hojo. À croire que je l’ai invoqué, l’homme-là. Y’a pas de mal à ça. Quitte à ce que son manga se trouve en ma présence, autant en faire la recension.
Alors. Notre protagoniste a perdu sa mère. Se présente à sa porte une femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Celle-ci se présente comme sa tante. Excepté qu’elle n’est pas la sœur de la mère de Mashiko, mais l’épouse de son frère. Le fait qu’elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau ne ferait sens dans l’éventualité où la mère et la tante auraient partagé le même sang. Ou alors, ou alors… l’oncle – faut suivre – en pinçait pour sa sœur et a choisi une épouse qui lui ressemblait afin d’assouvir ses fantasmes incestueux.
Écoutez, c’est une entrée en matière comme une autre, qui sommes-nous pour juger ? Ah oui, les lecteurs. Ceux qui décident, à tort ou à raison, si l’œuvre vaut la peine d’être lue.
Bienvenue au Japon de Tsukasa Hojo, où la moindre nana trouvée au détour d’un carrefour est une bombe éblouissante. J’ai rien contre l’eugénisme, cela dit j’ai bien l’impression que dans les monde qu’il nous dessine, l’auteur a exterminé jusqu’à la moindre femme présentant une imperfection disgracieuse.
D’autant que, cette frénésie des faciès féminins ravissants ne se borne plus à ces dames seulement.
Oooooh, c’est mignon, Masahiko craque sur sa cousine et sur sa tante qu’il verra à poil dans la douche avec un zob ♥
Est-ce que vous pourriez, monsieur Hojo, atténuer la nipponerie de votre œuvre de 87 % s’il vous plaît ? Car, voyez-vous, je ne suis que trop peu versé dans le relativisme culturel et ai, de ce fait, une certaine tendance à condamner une civilisation toute entière à l’aune de ses seules dérives ostensibles. Aussi, je m’en voudrais de commettre un incident diplomatique en déballant ce que je pense très foncièrement de ce genre de procédés.
Masahiko passera tout le temps qui lui est imparti durant le premier chapitre à trouver sa tante suspecte, jusqu’à découvrir qu’elle est son oncle. Or, rien dans ce qu’elle affiche ne semble aller dans le sens de son hypothèse. Si au moins l’auteur s’était donné la peine de mettre en avant certains éléments susceptibles de corroborer la thèse, nous aurions pu y souscrire. Excepté que les présomptions du protagoniste ne reposent sur rien si ce n’est un instinct qui, naturellement, s’avérera exact grâce à l’intervention de la sacrosainte narration venue tracer le parcours du récit.
Toute cette histoire, si elle est abominablement contée, reste outrageusement bien dessinée. À un point où c’en est choquant. Je n’arrive pas à croire qu’un auteur avec tant de maestria dans la plume diffusait ses bonnes grâces dans des magazines Shônen. Peut-être certains trouveront le tracé vieillot, mais bon Dieu que ces vieilleries prennent en éclat au gré des jours. J’ai le sentiment qu’on ne trouve plus d’auteurs capables de vous époustoufler avec leur dessin.
Rien que du Tetsuo Hara, c’était déjà impressionnant ; ne parlons pas de Masanori Morita, aussi je n’arrive pas à croire que de tels dessins aient pu poindre dans les périodiques. Le style graphique des auteurs de Shônens s’est d’abord fluidifié pour le meilleur, avec les premiers temps de Naruto, pour finalement s’abâtardir une génération après l’autre. Ces choses-là s’aperçoivent avec le recul vertigineux qu’on se déplaît à éprouver en revenant sur ce qui se faisait.
Le présent manga sera finalement une histoire reposant sur un élément – y’en a à qui ça a réussi – à savoir le fait d’emménager dans une famille où les parents sont des travestis ayant échangé leur rôle. De là est supposé découler le restant de l’intrigue, avec ce que cela suppose quiproquos etc.
C’est potache, c’est Tsukasa Hojo quand les flingues ne sont pas de sortie. Il est plaisant de se dire qu’on pouvait écrire et dessiner ce genre d’œuvres sans qu’elles ne s’embarrassent d’un commentaire politique ou moralisateur prononcé. L’oncle et la tante sont la tante et l’oncle, le postulat est incongru et, de cet état de fait original, on en tire une intrigue et des gags sans que ceux-ci ne soient malveillants ou complaisants. Mettez aujourd’hui Family Compo entre les mains de la plèbe arc-en-ciel de ces jours et voyez qu’ils en feront un édit pour leur paroisse.
Il n’empêche qu’on n’échappera pas au sempiternel couplet sur l’intolérance lorsque Haruka, piégé par sa sœur, se confrontera à son père qui, vestige frelaté d’un monde ancien et immonde, n’accepte pas que sa fille se présente comme un homme. Heureusement, tout s’arrangera car l’amour filial triomphe de tout, etc. Et c’est tant mieux, car toute forme de vision opposée à celle-ci est de toute manière erronée car criminelle. Si vos fils veulent devenir des filles ou vos filles souhaitent devenir des garçons, vous devez laisser faire sans aucune réserve. Les plus jeunes ne sont certes pas assez matures pour avoir le droit de vote, regarder des films interdits aux moins de 18 ans ou de boire de l’alcool, mais ont tout le discernement nécessaire pour décider de cela. Et si l’Éducation Nationale leur en a soufflé l’idée avec insistance, c’est pour leur bien. De toute manière, si vous n’êtes pas d’accord, on vous fout en taule parce que vous êtes maléfique, okay ? OKAY ?!
Outre ces prévisibles – et rares – homélies, les chapitres se suivent et se ressemblent avec leur lot de bons sentiments soporifiques et d’histoires courtes aussitôt oubliées après que vous les ayez lues. Tsukasa Hojo, de toute manière, ne connaît aucune autre formule.
Tout cela, au final, était bien mièvre. En dépit des grimaces et quiproquos outrageants, je n’ai pas souri une seule fois. L’auteur n’est finalement l’homme que d’une méthode et, celle-ci ayant déjà été éprouvées par mes soins en deux reprises, je m’en lasse et m’en détourne volontiers. D’autant que les histoires d’amour en surplus m’auront miné plus que de rigueur. Ça plaira aux nostalgiques du trait d’Hojo, mais ça ne les marquera pas pour autant.