Dreamland a maintenant 12 ans d'existence. 12 ans que Reno Lemaire nous propose son condensé de culture manga, mâché, remâché, digéré et restitué à la sauce héraultaise. On lui reproche souvent d'être un simple plagiaire et c'est lui faire injure. Il n'a jamais caché son admiration pour les grands maîtres ni même ses inspirations directes.
Ainsi Dreamland se propose dans un premier temps comme un pastiche. Les hommages y sont appuyés, notamment par le biais du design de certains personnages. Ainsi difficile de ne pas voir Zorro Roronoa sous les traits de Savane ou de ne pas noter l'hommage appuyé à Saint-Seiya dans le choix du contrôleur de la glace Shun. Plutôt que de s'en offusquer, ne boudons pas notre plaisir, Reno fait du fan service ok mais c'est avant tout le fruit de son affection totale pour la culture shonen. De plus il serait malhonnête de s'arrêter à ce simple constat. Clairement, si Reno n'avait proposé qu'une pâle copie du boulot d'Eichiro Oda, son manga se serait cassé la gueule depuis bien longtemps. Son talent d'interprète s'exprime au travers de deux axes: la maîtrise et le potentiel de son univers d'une part et la petite touche frenchie du réalisme des situations de la vie "réelle".
Dreamland parait foutraque dans ce premier tome et les pistes sont nombreuses mais ce qui frappe c'est qu'on sent dès le départ que Reno a conscience du potentiel de son histoire ou plus exactement DES potentiels. Il ne se ferme aucune porte dans ce premier opus, ce qui peut dans un premier temps donner un aspect un peu brouillon au nécessaire fil rouge mais permet au lecteur de comprendre rapidement qu'il se lance dans une oeuvre polymorphe, d'une grande créativité et finalement très originale. De plus, en axant les pouvoirs des voyageurs autour des phobies, il donne un cadre strict à une partie de son monde qui lui permet de lui dessiner, au moins pour une partie, des limites auxquels le lecteur peut se raccrocher pour s'identifier aux personnages et à leurs aventures. Et ça, n'en déplaise à ses détracteurs, ce n'est pas donné à tout le monde. Ainsi dans ce premier tome il réussit ce que doit réussir tout début de série: donner envie au lecteur d'en savoir plus et lui donner l'espoir d'être régulièrement surpris, soit par les pouvoirs des personnages, soit par leur design, soit par la teneur des différents arcs proposés...
Deuxième réussite majeure de Dreamland, le récit imaginaire est rythmé de passage dans le monde éveillé dont les préoccupations quotidiennes viennent contraster ou influencer les événements nocturnes dans le monde de Dreamland. Cela a un double effet: on s'attache aux personnages pour d'autres raisons que leur puissance supposée ou leur pouvoir et on hésite parfois entre vouloir en savoir plus sur Dreamland ou vouloir suivre un peu plus longtemps les amourettes adolescentes de notre Moumou favori. Bref, en alternant les deux univers, Reno réussit en quelque sorte le pari de Perec dans W ou le souvenir d'enfance créer l'attente et frustrer le lecteur suffisamment intelligemment pour que le tome ne lui tombe jamais des mains.
Si l'on ajoute à cela que Reno est un type adorable qui appelle ses lecteurs les "Moelleux" et qui est toujours disponible, il n'en faut pas plus pour que j'adhère à fond à Dreamland. Ce premier tome a certes quelques défauts mais il est une promesse solide... Et la suite le confirmera, mais ce sera l'objet d'une autre critique...