Longtemps Excalibur est resté pour moi le film qui a bercé mon adolescence et qui a complètement construit mon goût immodéré pour les univers médiévaux, la légende arthurienne sous toutes ses formes et ma passion coupable pour tout ce qui est vaguement épique!
Hier j'avais décidé, enfin, de remettre Excalibur en perspective avec ce que je suis aujourd'hui, ce que j'ai lu et vu depuis. Nombreux ont été les avertissements sur ce film depuis mon adolescence: essentiellement sur le caractère kitsch de l'esthétique et sur le côté décousu de la narration... Être déçu par un film que l'on considère comme fondateur peut être singulièrement traumatisant. J'ai donc lancé Excalibur dans mon salon avec la trouille au ventre. Cette espèce d'angoisse qui fait par exemple que je n'ai pas revu les Goonies depuis un bon moment...
Dès les premières minutes, j'ai compris. J'ai compris que ce film je l'avais dans les entrailles. Que tous ses défauts étaient autant d'éléments qui me faisaient l'aimer encore plus fort. J'ai compris que personne (à part probablement Astier) ne m'offrirait une interprétation aussi enthousiasmante du mythe arthurien.
Car derrière le kitsch il y a une véritable esthétique avec une valeur symbolique puissante. Tout sert un propos d'une pertinence rare sur les questions du paganisme et de la transition vers le monothéisme dans la période médiévale européenne. Les forces chthoniennes et célestes sont mises en perspectives dans les décors, dans la faune, dans la lumière, dans les ambiances, dans les dialogues. Ce sont deux mondes qui se confrontent, l'un semble disparaître pour céder la place au second mais la transition est bien plus complexe et c'est ce que John Boorman nous montre. Il suffit pour s'en convaincre de voir la scène du mariage d'Arthur et Guenièvre: le mariage est célébré selon le rite chrétien mais tout dans la scène indique le syncrétisme, la scène a lieu dans la nature, l'officiant ressemble autant à un druide qu'à un prêtre... Bref la symbolique du film y est entièrement contenue.
Outre cette mise en image très pertinente de cette période transitoire, le film est aussi intéressant sur la vision de la femme au travers des histoires médiévales. Elle est constamment instrumentalisée par le monde des hommes.
Igraine est réduite à l'état de femme objet, tout juste bonne à danser devant son seigneur puis à se faire violer, pour enfanter avant de se voir retirer le fruit de ce viol... Elle représente à elle seule la place peu enviable des femmes dans la société médiévale.
Guenièvre est la vision idéalisée de la femme. Cette vision est forcément erronée dans un paradigme chrétien puisque la femme porte en elle le pêché originel. Chez Guenièvre se sera par l'adultère. Elle est la faute d'Arthur incarnée, faute qui ne sera effacée que par le renoncement à l'amour charnel pour se consacrer à l'amour de Dieu, le seul tolérable dans une mythe aussi fondateur que celui de la Quête du Graal. Et c'est autour de cette intrigue puis de la Quête du Graal que se construit le mythe de la Chevalerie.
Enfin Morgane, la sorcière, la séductrice, le véritable suppôt du démon. Elle est le mal incarné. Elle instille le doute, séduit les hommes, les pousse à commettre l'irréparable. Sa quête est celle du pouvoir. Elle représente aussi les derniers soubresauts du paganisme, écrasé par le monothéisme. A la différence de Merlin elle refuse de s'avouer vaincue, de céder la place et c'est ce qui causera sa perte. C'est aussi parce qu'elle refuse d'admettre que la puissance du Charme, les forces telluriques la dépasse et qu'elle ne peut les maîtriser qu'elle sera toujours moins habile que Merlin.
Excalibur se sont aussi des scènes puissantes sur du Wagner qui me fouillent dans le bide et me donnent envie de me lever et de chevaucher derrière le Roi, de subir la douleur et le doute de la Quête, de me sacrifier pour Arthur et Camelot! Presque 20 ans plus tard, je suis toujours comme un gamin devant ce métrage: émerveillé et en complète immersion.
Après Excalibur, je me foutrais presque à croire au Dieu unique! Mais bon on ne me la fait pas à moi, entre Père Blaise et Merlin, y a pas photo, parce que je préfère toujours quelqu'un qui dit: "Moi, je dis que c'est magique à cause des merdes qui pendouillent, mais ça se trouve, c'est pas ça ..." plutôt que "Voilà ! C’est tout ce qu’y a ! Unisson, quarte, quinte et c’est marre ! Tous les autres intervalles, c’est de la merde ! Le prochain que je chope en train de siffler un intervalle païen, je fais un rapport au pape !"