J'ai regardé ce film seul, loin de ma femme et de mon fils. J'ai pleuré seul, avec violence. Pas les sanglots contenus de l'homme viril qui se donne une posture de mec sensible. J'ai chialé tout ce que je pouvais comme si on m'avait arraché mon gosse des mains. J'ai chialé avec des morceaux dedans et un vieux goût de bile dans la bouche.
J'ai vécu ce film de façon très immersive et c'est pour une toute petite partie dû au fait que je suis père et que cette année j'ai été séparé de ma femme et de mon fils pour raison professionnelle mais c'est surtout parce que Xavier Legrand ne nous donne à aucun moment l'opportunité de rester extérieur à son récit. Chaque plan, chaque son, chaque silence, chaque hors-champs sont glaçants, de réalisme, de douleur contenue ou non, de peur, de violence, de ce truc indicible, imperceptible qui fait que la tragédie s'invite dans une famille...
La direction d'acteur est formidable de justesse: on peine à croire que l'on a des comédiens en face de nous. On a l'impression de regarder se décomposer le cadavre de la famille de nos voisins de palier... Et c'est un spectacle affreux.
Il n'y a jamais de temps faible, jamais de répit. Les scènes dans le véhicule du père sont atroces, insoutenables. Jamais le bruit du clignotant d'une voiture n'a été aussi anxiogène. Jamais je n'ai eu une envie aussi forte de serrer dans mes bras l'enfant d'un autre, de le protéger, de hurler sur ce père dont la détresse sincère n'excuse pas la violence ou plutôt les violences commises. C'est aussi là l'une des grandes forces de ce film. On y parle de toutes les violences faites à l'enfance: le mensonge, le chantage, l'intimidation, la manipulation, l'utilisation, la pression physique et enfin la menace d'un passage à l'acte définitif. On y parle aussi de cette violence folle de l'homme qui souhaite posséder et contrôler sa femme et sa famille dans une vision complètement dévoyée, pervertie, corrompue de ce que sont l'amour et la vie de famille.
En tant que mari et père j'ai vu dans ce film une mise en garde. Comme si ce film avait été tourné pour donner aux hommes, mais pas que, une forme d'éducation sentimentale et conjugale. Le personnage du père n'est en effet pas monolithique. Il n'est pas seulement violent. Il n'est pas seulement dangereux. Il est malheureux et semble lui même en danger. Ce danger pour lui c'est le basculement inéluctable dans une sorte d'obsession le poussant à commettre l'irréparable. L'irréparable a pourtant déjà été commis a priori puisque même si on ne le montre pas, il est aisé de comprendre que la violence exercée par le père n'est pas que psychologique. Mais c'est aussi là la grande force du film, c'est de rappeler que la violence conjugale n'est pas qu'une affaire de coups portés, elle est aussi une affaire d'oppression, de harcèlement... A regarder Denis Ménochet (incroyable!) se débattre pour voir son fils, sa fille et sa femme, je me suis projeté en tant que père et j'y ai vu le risque de la perte de contrôle. Et pourtant je n'ai jamais levé la main ni sur ma femme, ni sur mon fils, mais ce film est une piqûre de rappel: on peut aimer avec violence et ce n'est pas acceptable... On peut être violent avec ses enfants ou son conjoint sans les frapper et ce n'est pas acceptable... On peut utiliser ses enfants pour atteindre son conjoint et ce n'est pas acceptable...
Voila ce que propose Xavier Legrand: regarder l'inacceptable, le subir pendant 1h30 et en ressortir bouleversé mais informé. Après avoir vu ce film, impossible de dire que l'on ne savait pas...