Avec le second volume de Fire Punch j'ai plongé pour de bon dans une série qui, pour être relativement courte (elle devrait faire moins de 10 tomes), n'en promet pas moins d'être intense. En voiture pour un de mes coups de cœur 2017.
Winter is here
Dans le futur, un nouvel âge glaciaire règne sur Terre. Les survivants se répartissent entre humains "normaux" et "élus" (des personnes dotées de facultés surnaturelles). Parmi ceux-ci se trouvent Agni et sa sœur Luna. Dotés de capacités régénératives ils les utilisent à bon escient : Agni se coupe des morceaux de bras qu'il donne aux habitants du village où ils résident.
Ironie du sort, cette source d'alimentation va causer leur perte : des soldats de Behemdolg – organisation teintée de religion qui aspire à instaurer une nouvelle société... – s'arrêtent un jour dans leur village. Découvrant des bouts de Agni, le village passe pour un ramassis de cannibales ce qui leur vaut d'être réduit en cendres par Doma, un élu maîtrisant des flammes inextinguibles. Agni est le seul survivant : les flammes le dévorent continuellement mais son corps se régénère... Quelle chance !
Nous voilà donc partis pour une quête vengeresse. Huit années ont passé, Agni a appris à vivre avec les flammes qui parcourent son corps. Il couvre les étendues glacées à pied pour retrouver Doma. Les personnes qui se mettront en travers de sa route seront consumés... par les flammes qui le recouvrent. Nouvelle ironie. Mais Agni doit encore apprendre à se battre, utiliser au mieux ses facultés : son mentor sera une femme dotée du même pouvoir que lui et vivant depuis plus de trois siècles : Togata. Une aide intéressée car, passionnée de cinéma, Togata veut faire un film dont Agni sera le héros !
L'Habitant enflammé de l'Infini
En tombant sur un entretien de l'auteur, j'ai lu que, graphiquement, Tatsuki Fujimoto était "très influencé par M. Hiroaki Samura". Ce dernier étant un mangaka que j'affectionne particulièrement cela m'a poussé un peu plus encore vers Fire Punch où plusieurs éléments rapprochent les univers des deux mangakas (vengeance, souffrance, héros qui se fait découper, humour grinçant, violence endurée par les personnages, tristesse des personnages vivant longtemps, arrangements avec la vérité...). Pour autant, Tatsuki Fujimoto développe son propre univers et insère ses propres influences et références qui vont du manga à l'animation en passant par le cinéma.
L'auteur prend soin aussi d'éviter toute évolution par trop évidente de l'histoire et revisite certains lieux communs du manga. Certes on peut deviner certains éléments mais Fire Punch prend des directions qui ont tout pour plaire à ceux qui n'ont pas peur de voir des choses peu ragoûtantes. Outre la quête de Agni est ainsi abordée la vie du côté de Behemdolg et, par contraste, celle de ceux qui n'en ont pas voulu. Fire Punch c'est aussi l'histoire de l'humanité dans un univers hostile où l'exploitation n'a pas été abolie, où le sacrifice de certains pour le bien des autres reste de mise.
On voit également une interrogation entourant les "élus" et leurs actes. Les "héros" n'œuvrent pas pour le bien d'autrui, ne mettent pas leurs pouvoirs au service des plus faibles. Comme si leurs facultés suspendaient leur sens moral. Un élément particulièrement présent chez les élus capables de se régénérer. Togata a tenté de se tuer mais retrouvera goût à la vie avec la possibilité de faire son film. Cette forme d'immortalité n'est donc pas sans coût pour la personne qui la possède et comme d'autres séries (Ajin, l'Habitant de l'Infini...) Fire Punch livre ses développements sur le sujet.
Last Action Hero
Avec son univers passablement sombre et ses jeux d'opposition (élus/non élus, froid/chaud, mort/vie, sang/neige, ville/désert blanc...) le manga propose une narration qui connaît des ruptures ponctuelles. Ainsi le tome 2 se lit comme un film en train de se faire/reportage de Togata ce qui, en plus de détoner dans l'atmosphère permet à l'auteur de justifier ses ellipses et de construire ce qui va arriver à Agni (le héros doit s'entraîner, passer par des épreuves, avoir un costume...). Ce faisant Togata joue le rôle du narrateur, explique les ficelles qu'elle souhaite utiliser... comme une variation dans le genre de celle que proposait Shintarô Kago dans Fraction.
Du côté du graphisme, si on retrouve bien des influences "samuraïennes" (certaines postures de personnages, leur allure, des compositions de pages...), Tatsuki Fujimoto semble s'en émanciper peu à peu pour croquer à sa manière les scènes d'action. Si les personnages peuvent avoir quelques raideurs, cet élément va en s'atténuant au fil des pages.
Pour l'édition française, nous avons un format 13x18 satisfaisant, une bonne souplesse de l'ouvrage et un petit regret sur quelques rares pages où les cases du bas semblent parfois avoir été un tout petit peu rabotées à l'impression. La traduction et adaptation, assurée par Sylvain Chollet constitue une autre force de cette série tant les propos ironiques de Togata, ses "phrases choc" marquent les esprits et colorent la série (et il y en a pour tous les goûts !). On lit ces passages avec délectation.
Tout feu, tout flamme
Fire Punch est une série qui me plaît beaucoup de par ses thèmes (la fabrique du héros, la vengeance, la cruauté et le sadisme que l'on repère ici et là, l'univers post-apo'...), sa narration inventive, son graphisme et sa galerie de personnages. Le manga donne à voir une humanité profondément divisée, clivée... soit une projection de ce qui pourrait nous arriver si nous étions confrontés à la même catastrophe. Autant d'éléments qui offrent un excellent moment de lecture.
Avis illustré à retrouver par ici.