Jean Dytar est un auteur au style unique et envoûtant, tant dans son dessin que dans les univers qu’il met en scène. Il l’avait déjà prouvé il y a quatre ans avec "La Vision de Bacchus", une BD qui se penchait sur les secrets des peintres de la Renaissance. Il le démontre une nouvelle fois avec "Florida", un roman graphique somptueux sur le fiasco d’une expédition coloniale française en Floride à la fin du XVIe siècle. C’est surtout la manière dont Jean Dytar raconte cette histoire qui est remarquable. Car s’il utilise son scénario (très bien documenté) pour aborder la question de la colonisation de l’Amérique du Nord, de même que les guerres de religion qui ont ravagé l’Europe à cette époque-là, Jean Dytar est très loin de se limiter à un simple récit historique. "Florida", c’est aussi et avant tout un drame intimiste sur un couple confronté aux épreuves de la vie. Ce couple est formé de Jacques et Eléonore Le Moyne, deux protestants français installés à Londres pour échapper aux persécutions catholiques en France. Jacques est revenu traumatisé de cette fameuse expédition en Floride, à laquelle il avait participé en tant que jeune cartographe, et refuse obstinément de parler de ce qui s’est passé là-bas. Désormais, il consacre toute son énergie à peindre des fleurs, tout en fuyant les mondanités comme la peste. Au grand dam d’Eléonore, qui rêve de grandes aventures et qui est frustrée par l’attitude très fermée de son mari. D’autant plus que Walter Raleigh, un proche de la Reine Elisabeth, fait pression sur Eléonore pour qu’elle convainque son mari d’enfin raconter son expédition en Floride, afin de pouvoir en faire un livre à la gloire des huguenots, les protestants français. Et puis surtout, il y a la dimension graphique de "Florida", sans doute l’élément le plus étonnant de cette BD. Jean Dytar quadrille ses pages et ses cases comme un véritable cartographe, plongeant ainsi ses lecteurs dans l’esprit torturé de Jacques Le Moyne. Un roman graphique raffiné et intelligent, qui plaira aussi bien aux férus d’Histoire qu’aux amateurs de récits psychologiques.
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