Fukushima : Chronique d’un accident sans fin se penche sur les cinq jours qui ont succédé au tristement célèbre tremblement de terre du 11 mars 2011. Le scénariste Bertrand Galic, accompagné du jeune dessinateur espagnol Roger Vidal et du blogueur anti-nucléaire Pierre Fetet – à qui l’on doit un dossier technique très instructif –, raconte la tragédie de l’intérieur, puisque ses personnages-phares sont les employés de la centrale de Fukushima Daiichi.
Une immersion dessinée. C’est ce à quoi nous invitent Bertrand Galic et Roger Vidal dans Fukushima : Chronique d’un accident sans fin. À l’exception de quelques scènes se déroulant à la préfecture de Fukushima, au Centre national de football, à l’occasion d’une commission d’enquête sur la catastrophe nucléaire, toute la bande dessinée se déroule en effet, sous forme de flashback, à l’intérieur de Fukushima Daiichi, durant les cinq journées qui ont directement succédé au tremblement de terre. Il faut prendre conscience de ce qui se trame alors : un séisme de magnitude 9, quelque 400 répliques, des pannes électriques, une distribution d’eau entravée, des réacteurs en état de surchauffe, un risque d’explosion permanent… La société électrique TEPCO, propriétaire de Fukushima Daiichi, et le Premier ministre japonais, Naoto Kan, ne prennent pas la pleine mesure des événements : les employés de la centrale sont sommés par leur hiérarchie de régler des problèmes qui les dépassent largement et ils voient en plus leur dirigeant effectuer une visite éclair sans même prendre le temps de s’adresser à eux.
La réalité, terrible, implacable, s’impose au lecteur dès la couverture de l’album. C’est le symbole de la radioactivité surplombant des travailleurs en masque et combinaison étanche anti-radiations, se frayant un chemin dans les gravats d’une centrale nucléaire réduite en charpie. Pour conter cette histoire, le scénariste Bertrand Galic s’appuie sur Masao Yoshida, le directeur de Fukushima Daiichi, qu’il présente comme « le pur produit d’une société électrique ultra-puissante », mais aussi quelqu’un « capable de prendre toutes ses responsabilités quand l’heure devient grave ». Soumis à des dissonances cognitives et des injonctions parfois contradictoires, cet homme dévoué va prendre des risques considérables pour contenir la catastrophe qui s’annonce. Il va s’exposer à des taux de radiation vertigineux, court-circuiter sa hiérarchie, mobiliser ses hommes et ce, afin de protéger autant que faire se peut les Japonais habitant les régions avoisinantes. De l’extérieur, il ne peut rien attendre, ou si peu : les routes sont inondées, les pompiers refusent de lui porter assistance en raison des émanations radioactives, les communications sont partiellement rompues et seule la télévision lui permet de prendre le pouls d’un Japon qu’on croirait en état de siège.
Les planches de Roger Vidal restent sobres, dominées par des teintes grises-bleues, et prennent souvent pour cadre les bâtiments administratifs de la centrale nucléaire. Le trait du dessinateur espagnol est net, précis et restitue parfaitement les émotions paroxystiques inhérentes à ces événements. Fukushima : Chronique d’un accident sans fin est une course contre-la-montre vouée à l’échec, où toutes les nouvelles sont au mieux mauvaises, et au pire dramatiques. L’album, haletant et très documenté, a le mérite de conférer à cette catastrophe un visage humain. Masao Yoshida et ses hommes vont en effet incarner l’abnégation et le dévouement dans des proportions insoupçonnées. C’est d’abord une centrale inondée, le courant alternatif coupé et des générateurs diesel hors service. Ce sont ensuite des systèmes internes endommagés, des risques de fusion et de rejets radioactifs, une enceinte de confinement percée par le corium. Au milieu de tout cela : le combat des hommes de Fukushima Daiichi pour faire baisser la pression des cuves, y injecter de l’eau, en recourant à un éventage manuel et en usant de batteries de voitures. C’est de leur histoire que Bertrand Galic et Roger Vidal font état, avec beaucoup d’à-propos, en mettant en exergue leur courage et la complexité des enjeux qui s’enchevêtraient alors.
Entre leur propre personne, la société qui les emploie (ce qui a un sens exacerbé au Japon), leurs collègues (avec qui des désaccords peuvent poindre), leur famille (de laquelle ils n’avaient plus aucune nouvelle) et les considérations écologiques ou politiques, les travailleurs de Fukushima Daiichi ont été pris dans un faisceau d’intérêts difficilement conciliables. Cette Chronique d’un accident sans fin en souligne toutes les subtilités.
Sur Le Mag du Ciné