Gaz à tous les étages par Eric17
Ma critique d’aujourd’hui porte sur le dernier opus de la célèbre série « Rat’s ». Cette saga est née il y a presque vingt ans de la plume de Ptiluc. Ce onzième épisode est intitulé « Gaz à tous les étages ». Il se démarque des précédents par sa maison d’éditions. En effet, il s’agit du premier produit par « Fluide Glacial ». Le changement se signale par un changement dans le titre de la série qui passe de « Rat’s » à « Pirat’s ». Son prix avoisine dix euros. La couverture nous présente une scène de pugilat. Les tons verts des gaz accompagnent cette atmosphère guerrière.
La quatrième de couverture nous présente le synopsis suivant : « Mais que se passe-t-il encore au pays des rats ? Ils n’ont décidemment aucune morale et ne respectent rien dans l’art subtil de faire la guerre à ses voisins de paliers. Mais finalement n’est-ce pas eux qui auraient tout compris ? » Voilà un programme ambitieux que j’avais hâte de découvrir…
Avant d’entrer de plein pied dans cet album, je vais décrire aux novices l’univers dans lequel se déroule ces aventures de rongeurs. Comme son nom l’indique cette série nous immerge dans le monde des rats. La présence des hommes n’apparait que de manière indirecte. En effet, les personnages errent essentiellement dans des décharges et sont donc confrontés aux déchets nés de l’activité humaine. Par contre, ils sont amenés à rencontrer d’autres locataires des lieux comme les vers de terre ou les insectes. Néanmoins, la société des rats est régulée en utilisant les mêmes codes que celle qui nous est familière. De cette manière, Ptiluc offre une critique de nos comportements quotidiens. Au final, « Rat’s » est une analyse sociologique de notre monde et de ses travers.
Le début de la narration nous plonger dans une atmosphère tendue. Les rats se montent le bourrichon et décident de partir en guerre contre les mulots. Tout part de réflexions sur la pensée unique. En effet, un rongeur, un petit peu plus réfléchi que les autres, expliquent à ses camarades qu’ « ils se voient comme un peuple en marche parce que c’est l’image de nous qu’on a le plus acceptée ! ». Il rajoute qu’ « un peuple en marche finit toujours par être un peuple en guerre ! ». Alors que son raisonnement devait mener à une réflexion sur leur situation sociétale, la conclusion de ses acolytes mène à une volonté de partir en guerre. Cette partie du livre est une description à la fois enthousiasmante et inquiétante des phénomènes de foule et de leurs dangers. Les planches de Ptiluc mériteraient d’être étudiées à l’école pour expliquer certains événements de notre Histoire. Un des personnages conclue avec les mots suivants : « Nous, on est le peuple en marche et là où on passe, rien de repousse ! Surtout pas la contestation ! ».
Dans un second temps, l’intrigue se concentre sur le conflit opposant les rats aux mulots. Les deux peuples s’avèrent très différents. Alors que les rats sont des concentrés d’hormone dont la loi du plus fort est un mode de vie. C’est en criant et violemment qu’ils débattent. A l’opposé, les mulots ne s’expriment que de manière polie et rigoureuse sur le plan linguistique. Malgré tout, leurs apparentes dissonances de fonctionnement ne les empêchent pas d’adopter un comportement proche. Les mots suivants traduisent la pensée des mulots : « Au nom de la défense de la politesse et de leur territoire qu’ils ont piqué à d’autres, mais il y a très longtemps et de leur idéal de bienséance, ils sont persuadés d’être dans leur bon droit et ils ont raison. » Du côté des rats, on s’exprime de la manière suivante : « Au nom de la conquête de nouveaux territoires qu’ils comptent bien piquer aux autres, les rats se préparent à la guerre, persuadés d’être dans le bon droit de ceux qui se croient les plus forts et que y a pas de raison que ça ne soit pas la vérité… » Ces deux situations traduisent parfaitement le propos de Ptiluc et sa critique sociologique. Parallèlement, les personnages pacifiques cherchant à lutter contre la pensée générale sont maltraités et ne réussissent jamais à faire naître la réflexion.
J’ai été moins séduit par la seconde partie de l’album. On se plonge réellement dans le conflit. Certains autres animaux sont exploités comme armes de guerre. Le texte prend moins de place au bénéfice de l’action. Ptiluc montre donc que son album n’est pas uniquement un traité philosophique mais également une vraie histoire rythmée et remplie d’événements et de rebondissements. Bien que je préfère le début de l’histoire, j’ai pris malgré tout du plaisir à en découvrir la suite. Aucune planche, aucune case n’est bâclée. Le cadrage, le dessin et texte sont travaillés et offrent ainsi un ouvrage de grande qualité.
Sur le plan graphique, j’ai pris plaisir à retrouver le style de l’auteur. Il fait partie des rares personnages à posséder un tel talent à la fois en tant que scénariste ou que dessinateur. Une des difficultés d’illustration de sa série est que tous les personnages sont des rats. Et ils sont nombreux ! On pourrait penser que tous les rats se ressemblent. Le dessin arrive à donner une identité aux protagonistes principaux. C’est une réelle performance car on ressent ainsi une vraie empathie envers tout le monde. A cela s’ajoute des décors très soignés. Et pourtant, on se trouve dans une décharge ! Les couleurs noirs, gris et marron sont subtilement exploitées. Un vrai travail de précision…
En conclusion, cet opus m’a beaucoup plu. J’ai pris beaucoup de plaisir à le découvrir. Néanmoins, la grande place laissée au texte fait qu’il ne pas être trop fatigué pour en profiter pleinement. Cela m’incite donc à attendre avec impatience la parution du tome suivant. Mais cela est une autre histoire…