Paru au Japon entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, la dizaine d'épisodes composant Gekiga Fanatics a été publiée en 2013 en France aux éditions du Lézard Noir. Un véritable documentaire sur papier concernant la naissance d'un genre appelé à connaître un succès certain.
Les Trois Fantastiques
Loin de tout récit triomphaliste, Gekiga Fanatics nous montre comment trois jeunes mangakas (Yoshihiro Tatsumi, Takao Saitô et Masahiko Matsumoto) vont essayer de faire naître un nouveau style de bande dessinée : le gekiga (soit une bande-dessinée plus réaliste que les séries d'alors, s'adressant plus à un public adulte). Terme forgé par Tatsumi en 1957 ce nouveau genre est le fruit d'hésitations, de concours de circonstances plus ou moins heureux...
Surtout, Gekiga Fanatics ne traite pas seulement de la gestation du gekiga mais aussi de la vie des trois auteurs. Trois jeunes loups, âgés de moins de 20 ans, qui désirent vivre de leur travail et rêvent de s'en aller à Tokyo pour percer et avoir ainsi plus de chances de s'affirmer à l'instar d'un Osamu Tezuka originaire d'Ôsaka...
Une révolution symbolique ?
Alors chez un petit éditeur d'Ôsaka, Hinomaru-bunko, nos trois auteurs travaillent d'arrache-pied. Le productivisme, il n'y a que ça de vrai. Peu importe qu'ils soient mal payés, que leur famille ne les comprennent pas et que la précarité menace : les liens tissés entre eux et quelques verres de saké alimentent leur enthousiasme pour faire des mangas différents de ce qu'il y a alors. Ils n'ont pas le même style, les mêmes idées mais un même mouvement les porte.
Mais la naissance du gekiga n'est pas seulement le résultat d'une quête idéaliste ou esthétique. Elle participe d'un constat : la nécessité de se démarquer face à une concurrence forte entre auteurs et maisons d'édition. Surtout que le développement de ce genre de bande dessinée leur donnera une certaine autonomie et leur évitera d'être mis au placard par les éditeurs.
Gekiga Fanatics est d'ailleurs précieux comme guide du monde de l'édition de l'époque. C'est aussi une période où les magazines de prépublication sont rares dans le paysage. Une époque charnière en somme où des associations de mères se plaignent du contenu de certaines œuvres (ah le bannissement des ouvrages dangereux... coucou Poison City) et où notre trio va poser des bases qui modifieront substantiellement l'offre de manga.
Se reculer pour mieux observer
Manga réalisé il n'y a pas loin de 40 ans Gekiga Fanatics offre un graphisme et un style qui possèdent quelques points de rapprochement avec ceux de Osamu Tezuka. Les visages de certains personnages se ressemblent mais le tout demeure lisible.
Un point à noter : Matsumoto se place en retrait dans le récit par rapport à ses deux compères. Comme s'il était là sans être là, ne voulait pas trop s'impliquer dans l'histoire. Comme s'il était en position d'observateur de sa vie passée. Une vie qui n'a pas que de mauvais côtés : il y a aussi des moments drôles dans Gekiga Fanatics !
Fanatiques du gekiga
Ainsi ce volume est plus qu'un retour sur la naissance du gekiga. C'est aussi (et surtout ?) les aventures de trois jeunes hommes, qui ne sont pas rassasiés par les productions de leur temps, qui ont envie d'explorer autre chose pour être reconnu et vivre de leur travail. Sans verser dans le triomphalisme, sans masquer les difficultés Matsumoto nous montre une part de l'histoire du manga qui s'est jouée dans les années 1950 et qui compte toujours aujourd'hui. Ouvrage instructif en somme !
Une version un peu plus longue peut être consultée ici.