« C’était un personnage familier dont aucun Anglais ne restait jamais longtemps sans nouvelles, qu’il lise les pages people ou celles des sports. » George Best était fait de cette étoffe : à un génie footballistique qui lui valut reconnaissance et mirobolants contrats, notamment publicitaires, il a très vite juxtaposé tous les excès imaginables : voitures de luxe, sexe, drogues, alcool, nonchalance, caprices… Kris et Florent Calvez ne s’y trompent pas en érigeant sa maison, patiemment édifiée, en symbole de perdition : tape-à-l’oeil, dénuée de finesse, truffée de gadgets offerts par des industriels avant tout intéressés par l’aura du footballeur, elle suscitait la curiosité des badauds tout en étant moquée pour son ostensible laideur.


Remontons un peu le fil du temps. Page 14, le lecteur découvre la maison d’enfance de la future star de Manchester United. Chiche, sise dans un quartier populaire de Belfast, elle ressemble à s’y méprendre aux centaines d’autres qui l’entourent et l’enserrent. George Best est alors, mais plus pour très longtemps, ce « voyageur de 15 ans trop maigre, fils d’une ouvrière dans une fabrique de cigarettes et d’un employé des chantiers navals ». S’il s’affranchit de cette condition modeste, c’est uniquement à la faveur d’un recruteur anglais ayant tôt perçu son talent exceptionnel. À Manchester, il est censé travailler dans les bureaux d’une compagnie maritime en marge de ses entraînements. Obstiné, il claque la porte sans demander son reste ; il n’aspire qu’à tâter du ballon. On lui déniche alors un emploi fictif et il parvient, peu à peu, à faire son trou dans un environnement pourtant très concurrentiel, où de nombreux aspirants footballeurs se voient « renvoyés chez eux pour insuffisance de performances ».


Kris et Florent Calvez l’indiquent clairement : « L’air du temps changeait. Les Beatles fournissait le son et George, bientôt, s’occuperait de la chorégraphie. » Profitant d’abord d’une blessure pour obtenir sa première titularisation dans l’effectif professionnel de Manchester United, éclaboussant ensuite le Stamford Bridge (stade du FC Chelsea) de toute sa classe, il s’annonce au milieu des années 1960 comme un virtuose, agile, précis et compétiteur. Il demeure cependant « un gamin timide de Belfast dans un monde trop grand », ce qui expliquera, pour partie, sa rapide et terrible déchéance.


Bien sûr, « le swinging London n’aurait pas eu le même visage sans lui », mais George Best a cependant tout de l’étoile filante. Comme l’expose très bien cette biographie dessinée, le génie précoce souffrira de l’ivresse provoquée par la gloire (au sens propre comme au figuré). Il se noiera dans la fange de la célébrité et de la richesse, il peinera à honorer (humainement) un maillot alourdi par le fardeau de la catastrophe aérienne de 1958, qui coûta la vie, notamment, à huit joueurs de ManU. Il surnagera parfois dans un effectif limité, mais se fera surtout remarquer pour ses frasques extra-sportives et ses déclarations outrancières, et souvent fanfaronnantes. « Aucun joueur de football européen n’avait jamais suscité une attraction pareille », Best était devenu la première icône sportive de la publicité britannique, mais la locomotive de Manchester va dérailler et s’écraser dans le décor.


Brûlant la chandelle par les deux bouts, ce qui apparaît clairement dans l’album, l’attaquant de Manchester United doit faire un pas de côté, puis partir pour les États-Unis, où il enchaînera les transferts dans des équipes modestes. Plus tard, il connaîtra une faillite personnelle, la prison, la maladie. Son manque de fiabilité – il était parfois attendu à trois endroits en même temps –, sa rivalité contre-productive avec Bobby Charlton, son immense talent gâché par une attitude non professionnelle, irriguent à larges flots George Best, twist and shoot, qui n’oublie jamais, en plus de décrire un parcours fascinant, de souligner toutes les aspérités psychologiques qui s’y fondent.


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Cultural_Mind
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le 3 mai 2022

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