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C’est en noir et blanc et sous des traits épurés que l’on revisite le parcours d’Aurore Dupin, passée à la postérité sous le pseudonyme de George Sand. La scénariste Séverine Vidal et la dessinatrice Kim Consigny se penchent en effet sur une éminence littéraire doublée d’une féministe libertine, amoureuse des mots et familières des maux. Chaque vocable a son importance et contribue à la destinée d’une personnalité hors pair.
« Ne me laisse pas, je t’en supplie… Si tu ne m’emmènes pas, j’irai toute seule de Nohant à Paris à pied, pour te retrouver ! » Aurore Dupin, orpheline de père, s’adresse ici à sa mère. Cette dernière se voit contrainte de la laisser sous le patronage de sa grand-mère paternelle, en échange d’une pension. Les effets sur la jeune George Sand ne font aucun doute : privée de ses deux parents, trop souvent assimilée à son père Maurice, elle doit se plier à une éducation conservatrice peu en phase avec ses élans littéraires et créatifs.
Aurore a des idées bien arrêtées. Elle aime tourner en dérision l’aristocratie et ses conventions. Surtout, elle préférerait vivre dans le dénuement qu’être prisonnière d’un beau mariage. Mieux vaut être pauvre qu’une « poupée de bois ». Son enfance n’est certes pas malheureuse, mais néanmoins tapissée d’émotions douloureuses : la perte de son père, le départ de sa mère, les relations houleuses avec sa grand-mère, la culpabilité ressentie envers elle, l’impossibilité de s’accomplir artistiquement et filialement…
La caractérisation de la jeune George Sand suffit à démontrer tout le talent romanesque de Séverine Vidal. Et pour comprendre le vie intérieure de la future autrice, il suffit de se pencher sur ces mots, énoncés lors de l’été 1815 : « J’ai sans cesse un roman dans ma cervelle ! Il me faut un monde de fictions que je porte avec moi, partout, dans mes promenades, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m’endormir et en m’éveillant, avant de me lever ! » Celle qui est encore Aurore Dupin va subir les crises d’apoplexie de sa grand-mère, intégrer un couvent, prendre connaissance du passé dissolu de sa mère et développer une sensibilité sociale en rupture avec son éducation.
En 1822, elle épouse Casimir Dudevant. La voilà, sans le savoir, engagée dans la prison maritale qu’elle dénonçait durant sa jeunesse. Son mari régente Nohant en tyran et finit par lever la main sur elle. Quelque chose est définitivement rompu. C’est surtout l’occasion pour Aurore de s’affranchir de sa condition de femme soumise. Elle va trouver successivement réconfort dans les bras d’Aurélien de Sèze, Jules Sandeau, Marie Dorval, Alfred de Musset, Michel de Bourges ou encore Frédéric Chopin. Entretemps, elle construit patiemment sa carrière littéraire, élève son fils Maurice et sa fille Solange, mène des combats politiques tout en refusant de verser dans la violence révolutionnaire.
Tout cela contribue à l’édification de son mythe. On lui accole le surnom de « Don Juan femelle », elle passe la moitié de son temps à Paris pour écrire, elle se déguise en homme et prend un pseudonyme masculin, elle intègre la rédaction du Figaro. « Vous devenez le drapeau de ralliement de toutes les femmes se piquant de savoir et de littérature ! », lui dit-on. Elle ne tarde pas à dénoncer un « complot masculin » et bientôt implore : « Apprenons à être révolutionnaires obstinés et patients, jamais terroristes. » Elle est ainsi placée face à ses contradictions : une révolutionnaire aristocrate, refusant les effusions de sang que certains de ses compagnons appellent de leurs vœux.
Pendant ce temps, ses enfants grandissent et leur individualité prend forme. Maurice et Chopin se regardent en chiens de faïence. Solange est criblée de dettes. Avant de devenir une mère dépossédée de son enfant. George Sand vit dans sa chair les combats des prolétaires, la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte ; elle est animée de principes féministes et égalitaristes. Elle écrit pour le théâtre, cherche à éponger ses dettes, se rapproche d’Alexandre Manceau, bien plus jeune qu’elle.
Séverine Vidal et Kim Consigny parviennent avec talent à restituer une vie riche, symptomatique d’une époque et de milieux spécifiques (sociaux, artistiques, politiques). Maniant l’ellipse avec habileté, n’empesant jamais son récit, la scénariste française quadrille son histoire de sous-propos, certains très actuels (sur la condition des femmes par exemple), tandis que Kim Consigny conçoit à l’épure des planches se prêtant parfaitement à leur exercice conjoint. On ne saurait trop conseiller George Sand, fille du siècle, précisément pour ce qu’il dit de l’une comme de l’autre.
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 21 mai 2021
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