Girls don't cry par CosmixBandito
Les garçons ne pleurent pas, et bien les filles non plus. Pas question de prendre trop à cœur les déceptions amoureuses, de laisser le sérieux rembrunir un horizon factice et assumé, bien à l’abri derrière le sable et les parasols qui viennent délimiter leur bulle. Nine Antico dépeint le quotidien d’un trio d’étudiantes, en se focalisant principalement sur l’une d’entre elle, dressant une ébauche de cartographie de la psychologie féminine, avec ses reliefs à peine accidentés des petites concessions entre amies, les pics dangereux et les gouffres des espoirs amoureux et de leurs inévitables désillusions, ou les plaines vallonnées de l’enfance envolée, des parents qui s’éloignent, et puis la désertification qui menace, la solitude qui effraie, l’ennui. En somme le pendant féminin de l’étude vacharde que Riad Sattouf continue de dérouler. Avec un regard différent pourtant, moins impliqué, plus discret. Nine Antico reste en retrait, elle dessine le détachement (et elle le dessine vraiment, les traits semblent parfois s’effacer, se fondre dans les silhouettes, incrustées dans un décor tout en abstractions géométriques délicatement enfermées dans des bulles flottantes, comme échappées de son crayon) de ces étudiantes, pour la société d’abord, mais surtout envers leurs propres aventures. Elles parlent de tout et surtout de rien, c’est pourtant dans ce tout et rien, dans le quotidien et ses sentiments, fait de langueur magnifique et de révolution minuscules que réside leur gravité. Ne rien faire, ne rien dire qui les entraîne hors de leur bulle, préserver à tout prix cette frivolité dans laquelle elles puisent le ciment de leur intimité, se détacher de cette part infime de soi qui donne prise au monde, à l’extérieur, pour exister tout à fait entre elles. L’amitié se passe des grandes causes, les petits riens lui suffisent. Ce retranchement n’exclue pas une certaine morosité, la gravité qu’elles fuient les rattrape immanquablement, dans les constructions extérieures qui s’infiltrent (« l’homme de ma vie, ou le mec qui doit faire le premier pas ») et qu’elles se résignent à contourner, pas trop déçues car trop lucides pour s’y tromper longtemps, ou dans les brèches qu’elles se ménagent. Une pique suffit pour faire éclater la bulle (et en échange de la paix dans le monde, vous seriez prête à vous faire une coupe au bol) et faire s’écailler le vernis d’indifférence qu’elles entretiennent, non pas tant pour se protéger de l’extérieur que pour amortir la dureté de l’éphémère, tenter d’enfermer l’instant évanoui dans un vécu délimité par l’amitié : l’inconnu croisé dans un train ne doit pas être un mirage, alors on le partage, comme pour conjurer sa brièveté, se persuader de sa réalité, et des possibles infinis qu’il recouvre.