À Dobbiston (Nord-Ouest de l’Angleterre), Howard sillonne son secteur avec un van à l’enseigne du Capitaine Cône, pour vendre des glaces. Mais sa routine parfaitement réglée va en prendre un gros coup suite à quelques imprévus…
Le secteur où Howard circule, il l’a hérité de son père. À ses yeux, ce terrain est donc sacré et il s’y accroche. Ceci dit, Howard est un indécrottable routinier qui se lève chaque matin à 7 heures, avec la sonnerie d’un réveil qui fut un modèle de design… en son temps. Mais Howard ne cherche jamais à commencer sa journée de vente avant 11 heures. On pourrait imaginer qu’entre 7 et 11 heures, il s’affairerait à élaborer ses glaces, en sortir de son congélateur pour les installer dans des bacs, nettoyer son matériel, faire le plein, etc. Puisque tout cela n’est pas évoqué, on peut imaginer que sa femme se charge de l’essentiel de ces taches (ils n’ont pas d’enfants qui pourraient accaparer son temps et son attention).
En fait, Howard consacre le début de sa matinée aux mots croisés proposés par le journal local, dont une grille cryptique (spécialité britannique dont un exemple non traduit est présenté en fin d’ouvrage, sans les solutions !) Il passe aussi au musée local où il retrouve son ami Jasper qui ne croule pas sous les occupations au vu de la faible fréquentation du lieu. Jasper a bien tenté le coup du calendrier avec des poses nues, mais sans gros succès. Il faut dire qu’avec sa bedaine de buveur de bière et son crâne bien dégarni, il ne fait pas franchement sexy. Ancien président du secours en montagne de Dobbiston, Jasper a quelques manies de célibataire et une obsession : rendre à la région son seul pic déclassé au rang de colline sur décision gouvernementale. Avec Jasper, Howard fait le point sur leur avancée des mots croisés du jour et il commente l’activité d’Alex, la nouvelle stagiaire du musée. Jeune, fraiche et enthousiaste, Alex fait bonne impression à Jasper qui envisage de lui confier quelques-unes de ses théories.
Les glaciers et leurs territoires
Si Howard et Jasper s’entendent bien, c’est parce que tous deux sont à leur manière des losers qui se contentent d’une petite vie sans avenir. Ce gentil ordonnancement va se trouver bouleversé par un imprévu qui va vite prendre des proportions franchement inquiétantes.
En effet, sur la parcelle qu’Howard considère comme son bien inviolable, il observe à l’occasion un autre vendeur de glace dans un van. Rapidement, il arrive à la conclusion que ce vendeur de glaces agit pour le compte de son demi-frère Tony Augustus, lui aussi glacier, mais très ambitieux et sans scrupules, ce qui se lit sur son visage (alors que celui d’Howard est plutôt placide).
Un roman graphique à déguster
Avec son format moyen (24,8 x 17,6 cm pour 176 pages non numérotées), Flake (titre original) a le don de surprendre l’air de rien, par un humour du genre pince-sans-rire qui lui a valu d’être nominé dans la sélection Meilleur Nouveau Roman Graphique aux Eisner Awards 2021. Le seul fait d’imaginer un empire de glaciers en Angleterre prête à sourire quand on connaît le climat du pays (une température de 21°C est ici qualifiée de canicule). Ensuite, le scénario est construit essentiellement sur des petits riens qui pourraient laisser penser qu’il s’agit d’une œuvre mineure se consommant avec plaisir mais rapidement, un peu comme une glace, rafraîchissante mais vite oubliée. Il n’en est rien, car son dessinateur-scénariste-coloriste Matthew Dooley s’y entend pour glisser bon nombre de détails significatifs et tisser une ambiance assez inimitable que je qualifierai de douce-amère. Ainsi, les couleurs sont de type pastel et les personnages dessinés d’un trait net mais sans fioritures. Quant aux décors, s’ils se révèlent souvent minimalistes, il ne faudrait surtout pas les négliger, car on y observe par exemple quelques affichages qui valent le coup d’œil et contribuent à établir l’ambiance générale et faire sentir les personnalités des uns et des autres. De même, la coiffure d’Alex n’est qu’esquissée, mais elle contribue au dynamisme et au charme du personnage. D’ailleurs, quand la femme d’Howard apprend qu’il s’agit d’une jeune femme, avec qui il a fait un tour sans prévenir personne, elle fait une crise de jalousie en réalisant qu’Howard avait négligé de la détromper en constatant qu’elle pensait que le prénom désignait un jeune homme.
Entre mer et montagne
Les péripéties s’accumulent et font monter la tension, en particulier entre Howard et son demi-frère Tony. Celui-ci ne s’est pas gêné pour faire comprendre à Howard qu’il pourrait s’approprier son territoire comme il le voudrait. Howard sent donc Tony derrière tous les mauvais coups qui lui tombent successivement sur la tête. Son caractère de loser apparaît nettement quand on comprend qu’il admet qu’il n’y a rien à faire contre tout cela. Il faudra une intervention du destin pour lui faire remonter la pente et prendre sa revanche. C’est certes un peu tiré par les cheveux, mais présenté avec suffisamment d’humour et de finesse pour qu’on s’en délecte. Surtout, on apprécie que tous les éléments mis en place par le dessinateur chapitre après chapitre interviennent d’une manière ou d’une autre dans l’orchestration de ce retournement de situation. Au passage, on apprécie tous les ingrédients qui nous font sentir l’ambiance de ce coin perdu d’Angleterre et l’état d’esprit général des habitants, même s’il s’agit bien évidemment d’une fiction. L’auteur évite les bavardages et le texte inutile, préférant varier les tailles de ses vignettes ainsi que les cadrages, pour faire sentir les états d’âme de ses personnages et l’absurdité de certaines situations. Le meilleur intervient à mon avis quand Howard se trouve au plus bas et que l’intervention de Jasper et ses collègues des secours en montagne tente de le tirer d’un mauvais pas… à la mer.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné