Gogo Monster
7.8
Gogo Monster

Manga de Taiyō Matsumoto (2000)

C’est compliqué de se jeter dans Gogo Monster. Il faut bien vingt pages de temps avant de s’accoutumer, comme le temps de passer un palier de décompression. Il faut au moins ça de temps pour accéder à l’imaginaire de Taiyô Matsumoto. Parce qu’il en a de l’imagination le bougre. Sous son crayon, il n’y a pas une planche qui soit dépourvue d’originalité, ne serait-ce que pour ce qui tient au paneling, parfois confondant, qui vous transmet de ces sentiments dont on ne sait trop quoi faire car on ne les a jamais ressentis auparavant.


Tachibana voit des entités que d’autres ne voient pas. Ce n’est pas tant qu’il a accès au monde des esprits, car rien ne laisse entendre qu’ils seraient mystiques, ces personnages qui lui apparaissent. Il les voit, et voilà tout. C’est un garçon asocial qui méprise la plupart des enfants de son âge et qui le lui rendent bien en le tenant pour fou. Le lecteur ne saura trop quel parti prendre, à ne jamais trop pouvoir déterminer si ces incarnations de l’Autre Côté – où que ce soit – sont le fait d’une acuité qui lui soit propre ou, simplement, la manifestation d’un désordre mental. Makoto, un ami qu’il se sera fait sur le tard, intrigué, ne saura pas trop non plus, n’entrant dans son jeu que d’un orteil à peine, y glissant toutefois un peu plus.


Le récit est éthéré, intriguant, difficile à saisir parfois, perdu qu’il est dans un lyrisme qui feint de ne pas en être : c’est du Taiyô Matsumoto des premières heures ; quand il était encore assez inaccessible pour ce que ses œuvres avaient de poétiques et d’insaisissables. C’est troublant Gogo Monster. On ne sait pas quoi en penser, mais on souhaite mieux se familiariser avec une œuvre complexe dans tout ce qu’elle a de simplicité à exhiber.


Ce qu’on croyait irréel était pourtant bien présent, QI n’était pas une vue de l’esprit, mais bel et bien un élève curieux et excentrique. En réalité, de ses visions, nous n’en avons jamais partagé aucune, ce qui ne concourt que mieux à nous confondre, mais à dessein ; et avec brio qui plus est. Tachibana grandit et, ces entités de l’Autre Côté, il les voit de moins en moins. Il pourrit dit-il. C’est ça grandir : c’est pourrir. La thématique de l’enfance, à Taiyô Matsumoto, elle y est omniprésente, prépondérante. Bellement mise en exergue, elle n’est jamais niaiseuse, et bien souvent impitoyable. Les enfants ne sont que rires et facéties mièvres, ils sont aussi faits d’injustices et de craintes. Cela déborde d’ailleurs dans d’autres œuvres du maître. Ça ne cherche pas à être triste ou joyeux, simplement à montrer froidement un état de fait joliment mis en scène dans le silence et sans éclat.


Le réel passe à l’onirisme sans prévenir, sans étape, sans qu’on s’en aperçoive ; le réel se fond dans un rêve à moins que celui-ci ressurgisse sur le monde. La scène où le chien conduit Tachibana au quatrième étage, le message du tableau ou encore le discours matinal du proviseur perturberont sans avoir à forcer les artifices. Il y a presque de l’horreur dans le procédé, un sens bien à soi de la terreur planante qui jamais ne force ses entrées. On se perd à ne pas trop comprendre, et on se réjouit de ça, on s’enthousiasme ensuite mieux encore lorsqu’on saisit de quoi il fut question ; que Super Star ne soit ni un mythe, et encore moins un songe. On ne les voit pas ceux-là que Tachibana nous désigne, mais on jurerait qu’ils sont partout à l’entendre nous parler d’eux et de leurs méfaits.


À compter de l’hiver – car les chapitres se découpent ici en saison – peut-être sommes-nous trop perdus, que la frontière ténue entre le monde et les désillusions – peut-être surnaturelles celles-ci – a été oblitérée. La fantaisie y devient très présente pour la finalité de l’être. On nous perd cette fois pour de mauvaises raisons, car lorsqu’on se perd, il faut que ce soit en des contrées qui valent la peine. La fantaisie tardive paraît quelque peu forcée alors qu’elle y était autrement plus allusive jusque là. Y’a finalement rien de plus décevant qu’un imaginaire qui se concrétise hors de l’esprit pour finalement prendre forme et devenir quelque part de ce monde, c’est-à-dire si commun que c’en devient réel. La porte noire, alors, s’est ouverte vers le néant.


La poésie, à y être aussi présente sur la fin, attendrit le corps de l’œuvre et lui donne un semblant de mielleux. Cette fascination pour les lapins m’aura rappelé Ushijima. Moins lyrique dans les termes, mais qui sait… peut-être était-il Tachibana quand celui-ci fut revenu de ses désillusions.


Pour une œuvre si courte, Gogo Monster aura eu le mérite d’être très vite poignante avant, cependant, que la poigne perde quelque peu en fermeté pour nous lâcher progressivement. Ce dont on était alors le témoin tenait alors à une expérience très franchement enrichissante. Pour cette fois-ci, Taiyô Matsumoto fit usage de son style et de son imagination à bon escient même sans trop que cela ne trouva un réelle finalité. C’était un voyage curieux que celui entrepris ici, un dont on se souviendra sans trop comprendre ce qui nous est arrivé tout en se réjouissant de tout ce qui y fut alors expérimenté.


Josselin-B
6
Écrit par

Créée

le 14 sept. 2024

Critique lue 113 fois

4 j'aime

Josselin Bigaut

Écrit par

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4

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