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Golden Kamui
7.8
Golden Kamui

Manga de Satoru Noda (2014)

"Nos cultures sont aussi importantes qu'éphémère ! Ce message, je veux le faire passer au monde"

Mon rapport à Golden Kamui a été assez étrange depuis sa sortie en France, j’attendais de pied ferme sa sortie mais au final je n’ai jamais vraiment dépassé les deux premiers tomes, que j’ai trouvé excellent les 3 ou 4 fois que je les ai lus, essayant de me mettre vraiment au manga de Satoru Noda. Mais rien n’y fait, pendant les 8 ans de parution française c’est comme si quelque chose m’empêchait de vraiment me plonger dedans. Cependant, avec l’annonce de la fin du manga il y a 2 ans, mon intérêt, un peu en stase a commencé à dégeler. 2 ans après avec l’annonce de la fin de la parution française et le lobbying de mon ami Albert Wesker, qui venait de se prendre le manga comme un pauvre ours se prendrait un train lancé à plein allure par un commandant a qui il manquerait la moitié de son crâne. C’est comme ça que je me suis lancée à fond dans cette chasse au trésor, pour de vrai et jusqu’à la fin cette fois.


L’histoire commence dans les montagnes d’Hokkaido, au début du XXe siècle, pas de date vraiment précise au début du récit, si ce n’est que ça se passe après la guerre russo-japonaise et de la bataille de « la colline de 203 mètres » en 1904. On le sait car Saichi Sugimoto dit « Sugimoto l’immortel » y a participé et qu’elle hante encore ses souvenirs, même au fond de ces montagnes enneigées. Errant dans ces grandes étendues recouvertes de neige, à la recherche de l’or qu’il pourra bien y trouver. Cet or, il ne le recherche pas pour son enrichissement personnel, mais pour payer la chirurgie de la femme de son meilleur ami Toraji, mort lors de la guerre. Ce sera son principal trait de caractère dans le manga, Saichi Sugimoto est un personnage profondément altruiste et effacé, immortel mais ne tenant pas plus que ça à sa propre vie, la mettant en jeu à la moindre occasion, pour protéger les causes auxquelles il tient. Cela ne l’empêchera pas d’avoir ses arcs qui lui seront totalement dédiés mais même dans ses arcs il sera au service d’autres intérêts que les siens, ce qui n’est pas sans rappeler la figure de Raiden du jeu Metal Gear Solid 2, un autre soldat, qui, malgré ce pour quoi il a été conditionné, essayera de s’extraire de ce statut de simple pion. Sugimoto a tout d’une figure tragique, incapable de mourir mais forcé de vivre pour autrui, n’ayant pas de raison de vivre pour lui-même.


Dès le début, Sugimoto n’est pas seul, accompagné d’un vieil homme il écume les rivières alentours pour y trouver de maigres pépites d’or. Le vieil homme, en plein état d’ébriété lui fait part alors d’une légende urbaine, un mystérieux prisonnier sans visage aurait dérobé une quantité d’or infiniment supérieure à ce que n’importe qui pourrait imaginer au peuple aïnou de la région. Pour retrouver ce trésor aussi massif que légendaire une fois sorti de prison, ce sans visage a tatoué sur tous ses codétenus une partie du plan qui l’aiderait à retrouver son larcin. Cette histoire qui a tout d’une légende prend une direction bien différente quand ce vieillard alcoolique, une fois ses esprits récupérés tentera d’assassiner Sugimoto dans son sommeil, il n’aura jamais dû lui raconter tout ça. On ne peut pas vraiment tuer un immortel et ce vieillard aura le temps de s’enfuir avant de se faire dévorer par un ours, l’occasion de voir son tatouage composé de lignes étranges, se rejoignant dans un motif incomplet, la confirmation que le trésor de ce sans-visage existe vraiment. L’ours ayant vidé ce vieillard trop bavard erre toujours, et Suigmoto ne devra son salut qu’à la flèche empoisonnée d’une jeune aïnou, la véritable héroïne du manga, Ashirpa. C’est ainsi que le duo improbable au centre de cette ruée vers l’or macabre s’est formé. Macabre car les tatouages ont été pensés pour être découpés du corps des évadés mais aussi car ce trésor intéresse, en plus d’anciens détenus peu recommandables, toute une division de l’armée japonaise, la 7e menée par l’aussi étrange qu’envoutant Tsurumi, dont les soldats lui répondent comme de vulgaire pantins de chairs. C’est plus ou moins le postulat de Golden Kamui, beaucoup de choses changeront au fil de temps, l’équipe d’Ashirpa et de Sugimoto recrutera de nouveaux alliés, plus ou moins fidèles en fonction des circonstances.


Cette construction du récit pourrait évoquer à plus d’un celle de la partie 7 du Jojo’s Bizarre Adventure d’Hiroiko Araki : Steel Ball Run, en un peu plus terre à terre dans le cas de Golden Kamui, même si ça se discute. Dans les deux cas, on suit une course contre la montre et une chasse au trésor qui s’avèrent cacher bien plus de secrets que ce qu’aurait pu faire penser le premier contact. Le rapprochement entre l’œuvre de Satoru Noda et de Hiroiko Araki va bien plus loin qu’un simple prémice, que ce soit par l’amour et l’attention, très précise de leurs auteurs respectifs pour l’anatomie humaine, plus précisément masculine. Ce ne sera pas rare de voir les personnages de GK dans leur plus simple appareil, l’occasion d’admirer l’attention à chaque veine, chaque cicatrice, chaque muscle de cette équipe hétéroclite de chasseurs de trésors. Cette passion qu’a Satoru Noda pour l’anatomie sera d’autant plus remarquable lors des séquences horrifiques de body horror, de voir l’effet de griffes d’ours sur un visage humain, de grenades, de sabres et bien d’autres choses qui causeront moultes cauchemars pour les personnages. L’occasion alors de séquence effroyables de traumatisme de guerre, fascinantes à explorer, plongeant dans un océan de sang humain, causé par cette guerre horrible liant presque tous les protagonistes entres eux.

(J’en profite pour glisser quelques mots sur l’édition française du manga chez Ki-oon qui est d’excellente qualité, du très bon papier qui rend encore plus agréable l’admiration du style de Noda. En plus de ça, la traduction française de Sébastien Ludmann est d’excellente qualité, apportant un supplément d’âme à chaque dialogue).

Mais ces détails de l’anatomie ne sont pas la seule lubie partagée entre ces deux œuvres, puisqu’elles se partagent aussi un amour pour le symbolisme religieux, on verra ainsi Tsurumi portant un de ses soldats mourant comme Michel-Ange représente la vierge Marie tenant le corps du Christ (voir La Pietà). Je pourrais énumérer d’autres qualités que se partagent les deux mangas mais je vais m’arrêter là, dans les deux cas ce sont des mangas pour lesquelles j’ai une certaine affection (même si je préfère Golden Kamui).


Cette poursuite du dieu de l’or à travers les grandes étendues enneigées du Japon et un peu de la Russie dévoilera des secrets qui auraient peut-être dus rester enfoui et une galerie de personnages tous attachants à leur manière, malgré un premier contact parfois…rugueux. Que ce soit le roi de l’échappée, ce bon vieux Shiraishi aussi fiable que pourrait l’être un homme animé uniquement par l’appât du gain et quel plus beau gain que ce trésor des aïnous ? Dans un registre moins huilé et moins comique, Ogata ce sniper hanté par un passé de guerre troublé, au comportement très félin brille comme plusieurs constellations dans ce ciel de ces campagnes désolées. Fascinant dans sa morale grise de soldat écorché vif depuis sa naissance, fils d’une union extra-conjugale, il ère aux côté des protagonistes autant que des antagonistes, carcasse vidé de toute volonté, de tout but, quoi qu’il puisse dire, qu’importe à quel point il essaye de se convaincre du contraire. Satoru Noda arrive à nous faire sympathiser avec tous ces marginaux à la recherche de cet or, y voyant leur unique forme de salut. Pour Ashirpa, son salut passe par la restitution de cet or à son peuple, leur héritage, une des traces de leur passage sur Terre. Plus noble que vouloir s’acheter une ile et la peupler soi-même.


L’héritage, et par extension la mémoire dans toute ses formes seront au centre de Golden Kamui, les traumatismes de guerre, comme j’ai déjà pu l’évoquer avant, sont présent dès le premier tome, Sugimoto voyant son ami d’enfance, baignant dans ses boyaux, plein de chagrin pleurant de ne pas pouvoir retourner au Japon. Mais l’immortel n’est évidemment pas le seul à avoir vécu des choses pareils, c’est ce qui m’amène à la plus grande réussite du manga, la 7e division de l’armée japonaise et son chef terrifiant, Tsurumi. La division ne manque pas de profils intéressants comme Usami, Koito, Nikaïdo, Tsukishima ou même le fameux et félin Hyakunosuke Ogata. Des profils tous bien différents, si ce n’est qu’ils sont tous liés par la guerre à Tsurumi, la plupart lui vouant une admiration et un amour sans faille. Une forme de liens du sang, plus macabre que ce que l’expression pourrait sous-entendre habituellement. Le général au crâne à moitié explosé, maitres des menaces et des manipulations est un antagoniste aussi fascinant qu’étrangement attachant, chaque stratagème utilisé pour s’attirer les faveurs d’un des ses soldats, le rendant dépendant de lui, renforçant son aura, le rapprochant encore plus d’une figure fantomatique, présent dans la tête et la vie de ses soldats même à des milliers de kilomètres de distance. Les plus vieux souvenirs des membres de la 7e division sont tous peuplés d’une manière ou d’une autre par Tsurumi, à se demander ce qui est vrai ou ce qui relève d’hallucinations causées par son emprise sur ses soldats. En le représentant carrément comme la vierge Marie, tenant un de ses soldat, amoureux de lui, dans ses derniers instants, Satoru Noda fait de Tsurumi une divinité maléfique, comme un kamui de la guerre.


En effet, Golden Kamui s’appelle ainsi pour faire référence aux divinités aïnous, cette fois-ci celle de l’or. Chaque paysage visité, chaque région sera l’occasion de découvrir de nouvelles divinités, des coutumes et ce rapport précis à la nature, mélange d’admiration, de respect et de crainte modérée. A travers le personnage d’Ashirpa et des nombreux passages documentaires, Satoru Noda tente de faire vivre dans l’esprit du lecteur cette culture, de transmettre un héritage culturel à quiconque serait prêt à l’accepter. A la fin de chaque tome, la longue liste d’ouvrages sourcés montre l’amour et le respect que porte l’auteur à cette culture, ce qui m’alène qu message principal du manga, construire le futur ne peut se faire qu’en gardant en mémoire le passé. En gardant le fardeau de son peuple sur le dos, Ashirpa veut lui assurer un futur, écrire sur eux, peut être même en faire des films, sur leurs légendes, comme on peut le voir dans un chapitre plus comiques sur les premiers pas du cinéma. Cet or est une des preuves du passage sur Terre des aïnous, voilà pourquoi elle est aussi attachée à le récupérer. Ces souvenirs, cette histoire passée se matérialisera dans plusieurs personnages, y compris dans des figures historiques, normalement décédées à l’époque. C’est pour ça qu’on verra Hijikata Toshizo errer à travers le Japon, fantôme d’une ère passée, cherchant l’or pour changer le cours de l’histoire et y laisser une trace plus importance que celle qu’on connait aujourd’hui. Même l’histoire se bat sur ce champ de bataille pour que l’on ne l’oublie pas.


Golden Kamui est une œuvre d’une beauté difficile à mettre en mots, autant un récit puissant sur la mémoire, l’héritage de chacun, l’importance de laisser une place sur Terre qu’un excellent manga d’action occasionnellement rythmé par des passages comiques très réussis. On sent un amour sincère de l’auteur pour ses personnages aussi marginaux peuvent-ils être, d’un couple de Yakuza homosexuel présent le temps d’un court arc jusqu’à sa galerie de personnage principaux avec la magnifique Ienaga. Même si, en suivant le twitter de l’auteur ou juste en lisant les chapitres où Tanigaki apparait on verra bien que l’auteur a ses petits préférés.

J’ai personnellement été absorbée par le manga, les 31 tomes ont passés comme le vent dans ces deux mois de ma vie rythmé par leur lecture. Et, même la fin, qui aurait mérité quelques chapitres de plus n’a pas été suffisante pour faire de l’ombre à ce magnifique tableau de Satoru Noda. C’est pour ça que, pour la première fois, j’ai eu envie d’écrire et de poster un petit quelque chose pour en parler, essayer d’organiser mes pensées dessus, et rien que pour ça, merci Golden Kamui, merci Satoru Noda.


Lucindrum
10
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Créée

le 11 nov. 2024

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