S’il y a bien une série que je m’attendais à revoir en 2024 c’est bien Famicom Detective Club, série que je connais depuis un petit moment et dont l’annonce des remakes en 2021 a été suffisante pour lui attribuer une petite place dans mon esprit, dans cette pile de jeu que j’aurais envie de faire un jour. Mais c’est vraiment l’énigmatique annonce, de cet Emio The Smiling Man, véritable 3 e opus de la série qui m’a poussé à franchir le pas et à plonger à pleine allure dans cette petite rivière. Véritable 3e épisode puisqu’en 35 ans, hormis 2 mini aventures proposées par le service en ligne satellaview pour la Super Famicom et un remake du second épisode sur cette même console la série a été bien muette. Les remakes switch, encore trop chers et n’existant pas vraiment en physique, et préférant le magnifique pixel art du jeu, avant cet Emio j’ai découvert Famicom Detective II, préquel de la série sur super famicom. Bien que chaque épisode de la série soit indépendant des autres, comme une forme d’anthologie d’enquête et d’horreur, je voulais la découvrir un petit peu avant de me jeter sur le dernier épisode. Ça aura été une découverte fantastique et renforça encore plus mon intention de me jeter sur le dernier jeu en fin d’année 2024, mais ce n’est pas le sujet du jour, ce sera pour une prochaine fois. C’était l’heure, enfin de jouer à son successeur, 26 après ce dernier. Le premier contact avec le jeu fut un petit peu étrange loin d’être désagréable mais passé de petits sprites SFC expressifs à ces grands sprites chara-désigné par Yukihiro Matsuo, tous entièrement animés, remplis d’âme et de personnalité.
Comme les remakes de 2021, on sent que le passage à des consoles plus haute définition a permis à l’équipe de se donner à fond sur ce sens du détail cher à la série. Chaque personnage sera ainsi totalement animé pendant ses dialogues, jusqu’à ses petits mouvements de visage, ce qui m’a un peu surpris au début, pas vraiment habitué à ce que mes VN soient aussi fluides.
Mais une fois habituée ça donne comme un côté vraisemblable à l’univers, l’ancrant dans un quotidien presque banal, si l’on oublie les affaires de meurtres évidemment. Comme expliqué par Kaori Miyachi, une des deux scénariste et game designeuse du jeu, dans une interview dans le media Inverse : « Même si le village et les personnages sont fictifs, nous étions très consciencieux de les présenter comme s’ils pourraient être réels ». Yoshio Sakamoto, co-game designer et scénariste, renchérit en disant : « Je pense, que, lorsqu’on représente une scène, il est nécessaire d’avoir un sens de l’atmosphère qui pourrait presque nous faire ressentir l’odeur de l’endroit ». Et c’est je trouve, totalement réussi, le studio MAGES, responsable de tout l’aspect graphique du jeu a réalisé un travail de titan sur tous les décors, présents en quantité raisonnable, tous avec leur identité propre et marquante. La bande-son assurée par Takeshi Abo accompagnera parfaitement aussi toutes ces scènes, allié à un sound design plus que réussi, en plus de se permettre la réutilisation de leitmotive discret des jeux précédents donnant un nouveau sens à ces thèmes de personnages composé pour la série il y a un moment déjà.
Les décors allant de l’intérieur chaleureux et rassurant d’un petit bar urbain, à l’ambiance étouffante et oppressante d’un village abandonné en forêt, dont l’on n’est clairement pas le seul visiteur. Tout en passant évidemment par quelques paysages urbains, saisissants par leur banalité au point qu’une certaine liminalité s’en dégage. Ce contexte de légende urbaine de l’homme au sourire transforme ainsi chaque petit bout bétonné parcouru en potentielle future scène de crime. Ce n’est pas loin de la vision d’un Koji Shiraishi ou d’un Keita Amemiya, respectivement derrière la série des films « Senritsu Kaiki File Kowasugi ! » et de Garo. Les deux représentants ces jungle de béton froides et grises d’où sortent différentes créatures issues de légendes urbaines. Emio ayant sa place auprès de ces kappas mangeurs de chair humaine ou de ces démons poissons humains, du moins la figure mystique, pas forcément la personne derrière. A ça en plus se rajoutera une couleur violette omniprésente à travers le jeu, issu de la fleur d’aubergine, dont la signification est au centre de la symbolique du jeu. Comme pour les précédents épisodes il s’agira de démêler le vrai des affabulations de lycéens et de collégiens ayant une fois entendu du bruit ans les couloirs de leur école.
J’ai passé un petit moment à parler de l’habillage du jeu mais on parle quand même d’un Visual Novel, genre de jeu qui met, avant tout, en avant sa narration, certes, soutenue par son esthétique, son atmosphère et parfois son sound design. Le jeu se passe donc quelques temps après le premier épisode, la temporalité étant flou, on sait juste que c’est après, l’intrigue se passant donc toujours dans les années 90. L’agence de détective privé d’Utsugi, le mentor de notre personnage est encore sollicité par la police ; cette fois-ci pour une affaire de meurtre. Aux alentours d’une station de traitement d’eau, plus ou moins paumée aux alentours de la ville, un jeu homme est retrouvé étranglé, mais, détail sordide en plus, sa tête est affublée d’un sac en papier sur lequel est dessiné un grand sourire. Meurtre sordide qui n’est pas sans rappeler une légende urbaine plutôt populaire chez les enfants, celle d’Emio, l’homme au sourire.
On raconte qu’un étrange homme en trench Coat, affublé d’un grand sac en papier troué pour ses deux yeux et orné d’un sourire dessiné au stylo arpenterait les rues de nuit. Il est dit que s’il tombe sur une jeune fille en train de pleurer, il essayera de la faire rire, s’il n’y arrive pas, mécaniquement il se mettra à les étrangler avant de les affubler du même sac que lui afin de « leur donner un sourire pour l’éternité ». Légende probablement né de cette série de meurtre arrivée 18 ans plus tôt. Quelques détails ne collent pas forcément, mais bon, ce serait trop facile sinon. Ce sera alors à nous, notre personnage, le même depuis le premier, notre collègue Ayumi et un peu de temps en temps l’élusif M. Utsugi, chef de l’agence.
Eh oui, petite nouveauté de cette épisode, on sera amené à jouer le protagoniste dont on choisit le nom et Ayumi Tachibana, recrutée dans le préquel et second épisode. Le gameplay ne change pas entre les deux personnages jouables mais ça crée quand même une petite forme de variété, surtout que les personnages rencontrés et les environnements visités ne sont pas les mêmes. Une manière de créer des petites aération dans l’enquête, alternant entre le meurtre du présent et ceux du passé, 18 ans séparent l’objet des recherches d’Ayumi et du personnage jouable. Afin de démêler cet énorme sac (en papier) de nœuds, le joueur aura à disposition un système de dialogue et d’exploration modernisé mais gardant toujours son essence comme figée à la fin des années 80 sur Famicom Disk System. Mais bon, comme on dit si ce n’est pas cassé, pas besoin de le réparer. Cependant, quelques modifications modernes ont été apportées, notamment un système de mot importants surlignés, évitant les boucles du premier épisode à essayer les mêmes choix de dialogue en boucle. Sinon, on garde le même curseur pour inspecter l’environnement, la possibilité de monter aux personnages les objets transportés, un bloc-notes se remplissant au fur et à mesure, moyen de consulter à tout moment les informations acquises. Fait intéressant à propos de ce bloc note, il se synchronise au personnage, ainsi en jouant Ayumi le bloc note, n’aura accès qu’aux infos que connait Ayumi et réciproquement, un petit détail sympathique. Ensuite, puisque la technologie a quand même un peu évolué entre la diégèse des deux jeux nos deux détectives seront équipés de téléphones portables à clapet, permettant entre deux dialogues d’appeler les personnages rencontrés, histoire d’échanger un petit peu et d’éventuellement un peu se décoincer mais aussi parsemé de petits dialogues cachés à condition de connaitre les numéros. Le téléphone ayant droit au même sens du détail que les dialogues ou l’inspection de décors, parsemés de petits bonus sympathiques, pas nécessaire à l’avancée mais plaisant et contribuant à cette vraisemblabilité dont je parlais au début. Pour finir, en guise de petite semi-nouveauté de cet épisode, à la fin de chaque chapitre, Ayumi et son collègue échangeront leurs infos acquises au cours de la journée puis, un bilan, forme de petit QCM demandera au joueur de vérifier ses connaissances acquises afin de reprendre le chapitre d’après l’esprit frais. Cette mécanique existait déjà plus ou moins dans le remake du II dans une forme différente et un poil moins confortable. On a donc un gameplay simple, presque effacé mais parfaitement fonctionnel, au service de cette enquête potentiellement paranormale. Un certain effort a été fait pour rendre cette expérience, dont l’essence est pourtant figée dans son temps, le plus moderne et accessible à un nouveau publique et ça marche totalement, nombreux ainsi sont ceux, à avoir découvert la série via les remake switch ou cet épisode, tous deux avec la lourde responsabilité de faire renaitre ces jeux trentenaires jamais vraiment sortis du Japon.
Ce que raconte Emio a ainsi, le présentoir parfait pour se déployer, et heureusement pour lui, sa narration est largement au niveau de son habillage. La poursuite de l’homme au sourire sera loin d’être une balade de santé, nous faisant rebondir entre différents personnages et décors, dont l’histoire, en apparence décousue du récit, nous aidera à avancer dans ce marais s’étendant à perte de vue qu’est cette affaire. 18 ans se sont passés depuis les premiers meurtres, donc une bonne partie des témoins ou des gens liés de près ou de loin à cette affaire sont encore en vie, juste un peu malmenés par le temps. J’avais particulièrement aimé l’amertume de la fin du second épisode, plus précisément cette relation tragique entre un père et son fils de substitution, laissant sur son chemin une piste de regrets qu’on ne prend aucun plaisir à remonter. Visiblement, je n’étais pas la seule à aimer cet aspect du second jeu puisque nombreux sont les personnages que cet affaire a passablement esquinté. Que ce soit cette vieille dame dont le petit-fils a disparu pendant cette période d’activité cet homme souriant ou ce couple de vieux mécanos qui voyaient en un ado sortant de prison qu’ils ont pris sous leur aile un fils de substitution et celui qui prendra leur place une fois qu’ils auront quitté cette Terre. Malheureusement, lui aussi aura disparu pendant ces meurtres. La localisation française fait d’ailleurs un travail formidable pour retransmettre toute l’amertume et les sous-entendus ce couple, pensant encore que peut-être, celui qu’ils considéraient comme leur fils allait de nouveau traverser les portes de leur atelier du jour au lendemain. Emio-L ’homme au sourire traite ainsi de toute la complexité des relations entre individus, sous toutes ses formes. Nombreux seront les personnages interrogés à nous parler de leurs différents lien qu’ils ont entretenus avec les différentes victimes, d’un employé de construction bourru aux collégiens ayant fréquentés la dernière victime en date. Sur les 11 chapitres, on rencontrera un nombre plutôt maitrisé de personnages, le jeu se concentrant sur la qualité des interactions, leur donnant tous une âme différente des autres. Autant principaux que secondaires, la vraisemblabilité s’étend aussi aux personnages, ce qui est important pour ce genre de jeu. Les personnages secondaires récurrents sont particulièrement attachants dans leurs imperfections, leurs regrets camouflés par un certain optimisme. L’équipe de police qui nous encadre un petit peu sur l’affaire sont eu aussi plutôt réussis, cachant eux aussi un secret lié à cette affaire, derrière cette façade de collaboration professionnelle. Mais bon, heureusement que quelques éléments un peu plus faibles que les autres laisseront malgré eux fuiter des infos cruciales à l’avancée de l’enquête. Ponctuée d’éléments pas toujours joyeux, vu le contexte, l’enquête mêle à merveille l’horreur de cette poursuite d’un être ayant tout d’une créature surnaturelle avec l’amertume des survivants de son passage. Mais derrière chaque légende urbaine, aussi terrifiante soit elle, se cache une explication terriblement banale, ancrée dans le quotidien, déformée avec le temps par des enfants s’amusant à porter le même masque pour faire peur à leurs parents. La légende d’Emio n’y fait pas vraiment exception. Une fois le jeu terminé ce sera à son tour aussi de perdre de son aura terrifiante. Enfin si vous n’êtes pas trop sensible à tout ce qui est violence graphique et mutilation, le dernier chapitre du jeu n’épargnant pas vraiment le joueur, le PEGI 18 sur la boite n’est pas là pour rien, d’autant plus surprenant quand on voit que c’est Nintendo à l’édition.
Une fois remis de nos émotions et après que les crédits aient fini de se dérouler, un appel téléphonique retentit, nous disant qu’il reste une partie de l’affaire non élucidée, comment Emio est né, qui est l’homme se cachant sous ce masque. L’occasion pour le jeu de dévoiler sa carte finale, le moment où tout prend sens, le thème principal du jeu. Comment les traumatismes générationnels se transmettent, impactent leur environnement quand il ne sont pas soignés, une autre forme de lien au final… L’apothéose de cet épilogue se situant dans l’OAV de 25 minutes retraçant le parcours de cet enfant devenu l’homme au sourire. Il est facile de considérer Emio comme un monstre, mais plus difficile après de ne pas comprendre comment tout cela a pu arriver et aurait pu être évité. Si ce qui a été fait est impardonnable comme dirait m. Utsugi, il est quand même difficile de ne pas avoir un minimum de compassion, et de vouloir que jamais cela ne puisse jamais se passer, changer le monde pour qu’aucun enfant n’ait jamais à subir la même chose que ce pauvre Emio. C’est je pense, ce dont parlait Yoshio Sakamoto quand il disait vouloir que les joueur ressentent le jeu et viennent à leurs propres conclusions via leur cœur et pas uniquement par leur manette.
J’espère avoir correctement réussi à mettre en mots ce que j’ai pu ressentir en parcourant Emio – L’homme au sourire, le jeu qui aura su le plus me marquer en 2024, un jeu beau et amer, que je n'aurais jamais imaginé voir édité par Nintendo cette année-là. Le futur s’annonce radieux pour Famicom Detective Club et j’espère de tout cœur être là pour le constater, en espérant quand même que ça ne prenne pas encore 35 ans.