L’écrivain et journaliste d’investigation Denis Robert (il a notamment beaucoup travaillé sur l’affaire Clearstream) propose un tour du Pays-Haut, région dont il est originaire, puisque né à Moyeuvre-Grande (Moselle).


Il s’agit d’une balade désenchantée dans une région qu’il connaît comme sa poche et à laquelle il se sent très attaché. Le journaliste aime ses habitants qu’il a vu souffrir depuis longtemps. Il revient dans une vaste région ayant Metz pour centre, parce que c’est là qu’il se sent chez lui. Scénariste de ce roman graphique très autobiographique, il travaille ici avec Franck Biancarelli pour une promenade qui pourra dérouter ceux qui ne connaissent pas la région. En effet, le scénario ne raconte que quelques jours de pérégrinations (pour quelques rencontres, retrouvailles et discussions), de Denis Robert en compagnie de son jeune fils Woody (fan un peu incongru de l’univers Marvel, racheté par Disney en 2009), alors que sa femme et ses deux filles sont à New York.


Une BD représentative


Autant dire que le dessin pourra également décevoir certains. Il reflète plutôt bien l’état d’esprit de Denis Robert, ainsi que l’ambiance de la région Lorraine (elle existait encore, l’album datant de 2016). Donc, malgré quelques beaux dessins pleine planche pour introduire chacun des 11 chapitres, on note peu de recherche de séduction par l’esthétisme. Même les couleurs sont plutôt ternes, tous les souvenirs étant présentés en noir et blanc.


Avant et après


Denis Robert s’intéresse aux causes et conséquences de la crise qui a frappé la Lorraine, mais aussi aux personnes qui portent leur part de responsabilité. Pour illustrer sa réflexion, il va d’une ville à l’autre, décrit ce qu’il y voit, explique comment c’était avant (du temps de sa jeunesse) et fait quelques rencontres qui permettent de faire le point sur la situation du moment.


Espoir et désespoir


Globalement, tout cela est évidemment très désabusé. Mais, cela lui permet de faire le lien entre ce qu’il a connu comme témoin en Lorraine avec d’autres événements semblables de par le monde. Dans la vallée de la Fensch (notamment), avec la mort programmée de la sidérurgie, activité qui faisait plus ou moins vivre tout le monde, l’ennui s’est installé. Avec le désœuvrement, il décrit la lente et inéluctable descente vers la pauvreté qui en découle. Pourtant, les discours des politiciens qui se sont succédé au pouvoir ont régulièrement apporté un certain espoir et même de l’argent sous forme de subventions. Et puis, il y a eu le cas de Jean Kiffer (surnommé Kiki, le taureau d’Amnéville), élu et réélu maire d’Amnéville, qui a réussi le pari improbable d’embarquer la ville dans de nouveaux défis, des paris réussis à l’image du zoo. À tel point que le maire envisageait de s’affranchir de la république, pompeuse de beaucoup d’argent. Un homme à part, mort avant de pouvoir aller au bout de ses idées. Bref, l’intérêt de le BD tient à ce qu’elle montre, en rapport avec la réalité. Ainsi, il est question de cet afflux d’immigrés venus d’Italie et de Pologne après la guerre. Je ne me sens pas le mieux placé pour en parler, puisque je venais de Nancy, mais ayant fait quelques années en fac à Metz, j’ai côtoyé des étudiants qui venaient de cette région et toutes les villes citées dans la BD sont des noms que j’ai entendus régulièrement (je ne peux résister à l’envie de citer Marly, Kintzheim et la montagne des singes, le Haut-Koenigsbourg et son château, Carling pour la production d’acétone, la mine de Petite-Rosselle visitable par les touristes, l’usine de Gandrange-Rombas, Rosselange), même si ceux que j’ai côtoyés n’étaient que la génération des enfants d’immigrés. Le plus amusant dans cette BD est peut-être le rendez-vous que Denis Robert retarde tout le temps avec Etsio, un émigré italien qui se comporte comme un chef mafieux. Comme quoi les italiens ont importé ce qui faisait leur vie là-bas. Un peu étonnant d’ailleurs, la BD n’évoque pas du tout le festival du film italien de Villerupt.


Le bassin lorrain


Connaissant à peu près tous les noms évoqués dans cette BD (les villes comme les personnes), la lecture m’a fait pas mal d’effet. Même si je ne connais pas toujours les détails, tout sonne juste. Exemple typique avec les dégâts observables des dizaines d’années après (trous spontanés d’effondrement), provoqués par l’exploitation du sous-sol par les HBL (Houillères du Bassin de Lorraine pour qui ne connaît pas). Pas sûr cependant que cela fasse autant d’effet à celles et ceux ne connaissant ni la région ni les personnes évoquées ici.


Le rôle des banques


Un roman graphique qui évoque donc tous les mauvais moments qui se sont accumulés pour faire de la Lorraine une région sinistrée. La présentation des faits mérite largement le détour, car Denis Robert connaît parfaitement son affaire. Ainsi, il a couvert l’affaire Grégory pour des journaux locaux. Comment s’étonner qu’il ait maille à partir avec les banques, puisqu’il les désigne comme grands coupables des désastres évoqués.


BD lue grâce à une recommandation de SanFelice.


Critique parue initialement sur LeMagduciné

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le 11 juin 2020

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