Qu'est-ce qu'être japonais en-dehors de son pays ?
Plusieurs sentiments émergent à la fin de la lecture de ce pavé (600 pages) ; du plaisir, de la tension, et au final, une certaine émotion. Il ne faut pas oublier que Gringo (l'étranger) fait partie de ces œuvres inachevées d'Osamu Tezuka, qui sera emporté par la maladie seulement quelques jours après avoir publié sa dernière planche, qui laisse sur une grande frustration.
Gringo raconte l'histoire d'un homme, Hitoshi Himoto (ce qui signifie "le japonais"), qui travaille au sein des branches sud-américaines de son entreprise, afin d'y créer de la richesse. Il va profiter d'une guérilla dans un pays imaginaire, la Santa Luna, pour trouver un gisement d'or, mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.
Mais surtout, Himoto est un japonais, et donc très loin de son pays. Lui et sa famille (sa femme est d'origine canadienne, et il a une petite fille) vont subir la discrimination partout où ils iront.
Le récit souffre de quelques longueurs, surtout dans la première partie, mais ensuite, tout s'accélère lors de la fuite, et la découverte presque temporelle d'un village japonais en plein Amérique du Sud ! C'est un village qui vit comme à l'époque de la Seconde Guerre Mondiale (l'histoire se passe en 1984), qui nie la défaite de l'armée japonaise, et qui rejette les blancs. Encore ce souci d'intégration.
Ce dernier mot est ce qui caractérise ce livre, car le personnage principal est constamment déraciné, souvent baladé, et il ne parait pas fondamentalement sympathique (il trompera sa femme), malgré sa bonhommie affichée, en tant qu'ancien lutteur de sumo, sport qui lui sera utile à bien des occasions.
Tezuka a voulu projeter un miroir sur ses semblables en leur montrant ce qu'ils ont aux yeux du monde ; un peuple reclus, imbu de lui-même, et surtout, incapable de s'ouvrir aux autres.
Comme je le disais, Gringo s'interrompt sur un passage terriblement frustrant, alors que le sort de certains personnages n'a pas été décidé, alors que plein de questions restent en suspens. Une saga aurait très bien pu être envisagée...
Il y a également une postface, dessinée, où Tezuka se montre très amaigri par la maladie, et s'excuse auprès de son lectorat de ne pas travailler aussi vite qu'il le voudrait. Il s'interroge lui-même sur sa volonté de dessiner puis, par ricochet, sur les raisons auxquelles les Japonais travaillent autant. Pour lui, c'est avant tout parce qu'il devait survivre pour sa famille.
L'évolution assez surprenante de l'histoire fait que je recommande chaudement ce livre, mais il faut bien se dire qu'à la fin....il n'y aura jamais de suite ! Ce qui est très dur...