Ceux qui me suivent de près le savent d’ors et déjà mais en tant que pro manga, je suis un abonné indéniable de ces BD japonaise connue par les néophytes pour être lu dans le sens inverse d’une BD française ou d’un comics, et plus connu pour les habitués que ça soit pour le nom du public ciblé par tel ou tel manga qu’on a tendance à confondre avec des genres (le Shonen pour les jeunes adolescent, le Seinen pour un public plus mature, le Shojo pour les adolescentes, le Kodomo, etc…) que les principaux titres que même les non initiés connaissent au moins de titre (du One Piece d’Oda Eiichiro et du cultissime Dragon Ball d’Akira Toriyama pour le Shonen au Ghost in the Shell de Shirow Masamune dans les Seinen que L’attaque des Titans d'Hajime Isayama plus récemment dans la même catégorie ou Love Hina pour les Shojo).
La mienne, d’aventure manga, elle a débuté y’a longtemps et elle n’est pas prêt de se terminer. D’ailleurs j’avais longuement hésité à en parler puisque parler d’une bande-dessinée est une autre paire de manche que de parler d’un film ou d’une série. Mais étant donné que Robert Rodriguez s’est attaqué à l’adaptation de l’œuvre de science-fiction de Yukito Kishiro, Gunnm m’a paru être un bon endroit ou commencer.
Gros phénomène dans l’univers du manga au Japon, et surtout un des premiers mangas à rencontré le succès en occident, Kishiro narre avec Gunnm l’histoire en 9 tomes d’une cyborg qui passe métaphoriquement du statut de l’enfant adopté à celle de jeune adulte en apprenant à découvrir le monde dans un milieu insalubre, hostile, pollué et ou la précarité est vue avec une indifférence terrifiante par les habitants de la décharge de Kuzutetsu. Et ce rapprochement n’est pas si difficile à faire : de son adoption à son ultime destination en passant par son amour de jeunesse avec Yugo le voleur de pièce de cyborg
ainsi que sa "seconde vie" en tant que mercenaire à la solde de Zalem qui n’est pas sans faire penser à celui d’enfant soldat ou de jeune embrigadé dans les forces militaires.
Après, je comprendrais qu’on trouve l’exposition assez rapide avec les questions posées sur l’amnésie de son héroïne et l’établissement de ses nouveaux repères (Ido Daisuke son "père" adoptif, le milieu des Hunter Warriors), et pour quelqu’un qui ne suit pas la sortie chapitre par chapitre d’un manga cela peut rapidement paraître trop simplement exposé au niveau des relations établies. Mais en prenant chapitre par chapitre, au vu de leur durée et une fois qu’on est habitué à leur rythme (très différente des BD occidentales), c’est largement crédible et en principe clairement défini.
A commencer par le rapport père/fille instauré entre Ido et Gally, le premier fondamentalement homme de bien mais non dénué d’une part sombre et la seconde qui devient continuellement plus attachante dans sa quête de personnalité et d’humanité tant chaque étape par laquelle elle passe transite d’une à l’autre avec une pertinence évidente. Déjà grâce à au parcours de Gally faisant le parallèle entre l’enfant qui devient adulte et apprend de la cruauté du monde tout en tentant d’y trouver sa place et en faisant face à ses propres pulsions au fur et à mesure de ses affrontements et de ses rencontres.
D’autant plus que c’est par elle et sa vision du monde que Yukito Kishiro va aborder la question des inégalités sociales entre le fonctionnement sociétaire de Zalem à Kuzutetsu, de la quête d’identité physique comme spirituel de la cyborg au visage d’enfant comme du rapport à l’humanité entretenu par les nombreuses figures rencontrées par Gally : suscitant tantôt le mépris et la défiance comme du respect (Jasugun) ou de la curiosité
(le professeur Desty Nova, un cas particulier aussi fascinant à analyser : clairement malsain dans ses méthodes mais aux motivations troubles qui prennent un sens beaucoup plus ambivalent par la suite).
Du coup en se focalisant sur ce point de vue : le métier de chasseur de prime peut ainsi être vu comme une manière de conditionner la population de la décharge par le gain et la renommée en usant de main d’œuvre facile à dégoter. Les compétitions de motorball (inspiration très évidente sur Rollerball de Norman Jewison) servent de distraction au peuple de la même manière que les jeux du cirque au temps des romains servent à détourner l’attention des gens vers le divertissement et leur faire oublier leur condition misérable, à tel point qu’ils valorisent l’asservissement des masses et leur contrôle par Zalem et leur population dites supérieure.
Tandis que l’engagement des mercenaires n’a pas été sans me faire penser, personnellement, à l’engagement aveugle de main d’œuvre quitte à y intégrer la jeune génération victime des absurdités de la guerre commandée à distance par les autorités venant d’en haut (y compris du côté de Den du Barjack, dans un premier temps du moins).
Sans parler de la cité de Zalem qui continue d’alimenter la Décharge en saleté sans se soucier du sort de ceux qui y vivent ou trouver une alternative à leur mode de vie indécemment luxueux.
Et c’est dans ce microcosme que chacune des rencontres de Gally ainsi que le devenir de chacun d’eux va en toute logique décider de la route qu’elle prendra sans que cette dernière ne leur fasse de l’ombre. Ido a l’influence du père dans ses débuts en tant qu’Hunter Warrior (Gally suivant ses pas), Yugo est sans problème l’exemple archétypaux de l’amour de jeunesse de Gally, quant à Jasugun il est à la fois rivale et miroir de Gally quant à son exaltation pour l'adrénaline et ainsi de suite. Sans parler des allusions religieuses minimaliste.
Graphiquement Gunnm a une empreinte visuelle qui a beau avoir des petites lacunes dans ses premiers chapitres (raccord images/actions lors des combats, quelques traits qui se cherchent une personnalité graphique comme n'importe quel manga) mais fait déjà preuve d’un sens du détail et de la profondeur d’image très prenante, à l’image de la plongée de Gally dans les sous-sol de la Décharge, des plans larges sur le grand désert et les combats gagnent toujours plus en raccord et en brutalité.
Brutalité très explicite mais loin d’être mis au service de la complaisance pour ses lecteurs : soit exploité dans le cadre du sport et du divertissement, soit pour exprimer l’extrême brutalité des bas-fonds ou évolue Gally ou bien pour que cette dernière noie ses sentiments négatifs dans un effluve de violence qu’elle enchaîne d’elle-même.
Très identifiable dans ses références mise au service de son univers (filmique tel Pinocchio, La fiancée de Frankenstein ou même Orange Mécanique mais aussi littéraire) et du chemin de Gally qui à n’en pas douter une des héroïnes les plus attachantes du manga avec un parcours quasi sans faute et des dessins qui se sont améliorés au fil des chapitres, Gunnm constitue un classique pour quiconque s’intéressant au manga de science-fiction.
Preuve qu’une fois encore, si il y a bien un domaine dans lequel les japonais excellent dans le domaine de la BD comme des animés, ce sont les univers de science-fiction qu’il soit des œuvres d’anticipation comme ici ou plus enclin au divertissement général. Gunnm fait parti de la première catégorie et quitte à démarrer les découvertes dans l’univers de la BD japonaise, c’est clairement un de ceux que j’aurais tendance à recommander en premier lieu.