La nature est bien faite. Bien salope aussi ; impitoyable, d’une logique terrible et implacable, mais foutrement bien faite. Y’a pas un atome qui n’ait pas de sens dans l’univers ; tout y est à sa place et pour une raison particulière. Prenez les espèces animales et végétales toxiques par exemple, celles-ci sont généralement associées à des couleurs vives venues signifier le danger qu’elles représentent.
Maintenant prenez Gunsmith Cats – et n’oubliez pas de vous laver les mains après – et observez les graphismes. Voilà, c’est fait. À présent, essuyez-vous la bouche, videz le seau à vomi et reprenez votre respiration. Sans même vous être essayé au poison, vous savez que tout ce que vous y trouverez ici est toxique à en crever. Moi ? Je suis comme qui dirait mithridatisé, je vais donc vous faire le retour pour que vous n’ayez pas à y revenir.
Ces visages aux formes géométriques convenues et rudimentaires, ces grands yeux aux prunelles dilatées qui ne font que simuler l’émotion transcrite par les personnages ; c’est tout ce que je déteste. Demandez à quelqu’un qui hait les mangas de vous dessiner le personnage cliché sorti d’une œuvre graphique nippone, c’est ni plus ni moins que les traits de Ken’ichi Sonoda que vous obtiendrez.
« Ouaiiiiis, mais ça avait du cachet, ces dessins classiques qui transcrivent toute une époque »
On peut éventuellement dire ça de Rokudenashi Blues ou City Hunter, mais de ces crayonnés dont je viens vous faire la recension, on ne les encensera jamais que pudiquement. La nostalgie fait que ce style graphique manque ; car celui qui lui a succédé est méchamment aseptisé en comparaison. Cela dit, ce n’est parce qu’on a chopé la grippe qu’il faut regretter la gastro.
Ces gueules de minettes avec leurs airs constamment enjoués, débordant de faux, vous en ferez une indigestion bien assez tôt. La nostalgie ne tient le choc que jusqu’à ce qu’on ait remonté dans le temps.
Chasseuses de prime au grand cœur, les Gunsmiths Cat – à ne pas confondre avec Cat’s Eyes qui, elles, sont des cambrioleuses au grand cœur – résolvent des enquêtent en se mêlant à des affaires qui les dépassent au gré de leurs chasses, mais dont elles viennent à bout grâce à leur sagacité, leur sens du discernement et leur intelli… non ; elles flinguent tout ce qui passe. C’est un prototype de Black Lagoon qu’on trouve ici. Mieux écrit, et dont la mise en scène, je l’admets, s’y trouve mieux travaillée. Cela ne saurait cependant s’accepter comme une éloge.
Il y a un travail de recherche effectif entourant les armes à feu. L’approche est loin d’être aussi superficielle qu’avec ces mangas où on décharge des chargeurs entiers sans savoir comment fonctionne la pétoire. Les amateurs du genre banderont dur, le reste haussera peut-être un vague sourcil à l’occasion, et à l’occasion seulement. Car ces épisodes didactiques ne seront que très rarement distillés au milieu des intrigues multiples qui nous viennent.
C’est du Golgo 13 remanié, le hard-boiled troqué pour la mignardise. On y perd au change.
Les chapitres de Gunsmiths Cat ne se lisent pas, ils vous passent devant les yeux. Les flingues sont bien dessinés, y’a quand même quelques ébauches d’écriture pour ce qui est des chasse à la prime, mais tout cela est résolument chiant. Malgré les coups de feu et les menus complots déjoués à la chaîne, on pique du nez trop facilement. La faute aussi à des personnages moins consistants que les flingues qu’ils tiendront en main. L’auteur se sera tant investi à nous décrire les armes que le temps lui manqua pour approfondir ses personnages. Il faut dire que ceux-ci, à force, ne sont que les extensions de leur flingue, n’étant apparemment présents que comme accessoires bons à appuyer sur la gâchette.
Des histoires intéressantes, sur les chasseurs de primes Américain – qui eux n’ouvrent jamais le feu sur qui que ce soit – y’en a à ramasser à raison de treize à la douzaine dans les témoignages écrits de ceux qui ont pratiqué la profession. Nous aurons cependant droit ici à de la grandiloquence et de la poudre avec, au milieu, trois mignonnes venues faire leur intéressantes.
Ce n’est pas parce que ça cause – et beaucoup – entre deux fusillades, que le rendu en ressort plus crédible et consistant. Ça parle pour ne rien dire et ajouter quelques tonnes de garniture sur un plat dont on ne sentira plus à force le goût original tant il est enseveli sous les détails inutiles. En ce sens, Gunsmith Cats m’aura aussi rappelé Ghost in the Shell.
Et puisque le monde est bien fait, eh bien les méchants auront des têtes de méchant et les gentils, des tête de gentil. Ça pouvait faire effet avec City Hunter dont les dessins étaient avenants et les personnages attachants, mais vous en reviendrez bien assez tôt dans le cas présent. Peut-être aussi car City Hunter était un Shônen et Gunsmiths Cat un Seinen assez infantilisant malgré ses airs de fausse complexité dans l’écriture. On sent la patte d’un Otaku qui aime les flingues et les bagnoles et a voulu les mêler à des nanas pour mieux appâter le chaland.
Notons, à sa décharge, que le fan service libidineux y sera relativement absent.
Les enquêtes sont inintéressantes en dépit des efforts commis par l’auteur pour les étoffer, mais c’est du polar à la vanille qu’on lit ici. Me demanderait-on s’il se trouve un élément ; une valeur ajoutée propre à cette œuvre-ci qui lui permette de dénoter de ce genre de mangas qui pullulait fin 1980’s jusqu’à la moitié de la décennie suivante que je ne saurais trop dire. Ça aurait gagné à rester obstiné par les flingues et leurs descriptions ; elles forgent des armes après tout, mais cet élément se sera perdu sur un sentier d’intrigues ronflantes où les gentilles triomphent des méchants. Autant assumer ses passions quitte à attribuer son manga à un électorat de niche. Un petit trésor, après tout, vaut mieux qu’une grande fosse sceptique. D’autant que celle-ci n’était que très moyenne.