J'ai découvert Junji Ito il y a quelques années. Un recueil d'histoires courtes, une première partie de Tomié et l’intégrale de Spirale m'ont permis d'aborder l'œuvre de l'auteur sans que je ne tombe totalement sous son charme. Une relecture plus récente de Spirale m'a cependant mis une belle claque, me faisant réévaluer l'œuvre de l'artiste ainsi que son trait à l'énergie palpable assez unique (merci les médiathèques).
Grâce aux initiatives récentes de Mangetsu et ici de Delcourt/Tonkam. Je me lance enfin en profondeur dans l'œuvre du maître.
Gyo est l'histoire d'un jeune couple Kaori et Tadashi qui vont vivre une expérience aussi étrange que terrifiante lors de vacances au bord de la mer. Alors que Tadashi plonge dans la mer, Kaori va sentir une odeur étrange et écœurante. Le soir, ils sont attaqués par une étrange créature poisson alors que Kaori est répulsée par l'odeur qui s'en dégage. Les apparitions de poissons modifiés vont se multiplier et l'horrible odeur va devenir de plus en plus prégnante dans la ville.
Cette odeur qui insupporte Kaori va être l'élément déclencheur d'une relation de plus en plus complexe dans le couple de personnages principaux. Pendant toute l’histoire, l’odeur va être également le moteur de l’horreur, allant jusqu’à prendre une apparence terrifiante.
L'auteur dissémine pas mal d'idées et de mystères (sur les machines, le virus, la fumée, des savants fous) pour apporter de l'épaisseur à un manga surtout graphique et sensitif. Mais Ito ne détourne jamais totalement sa narration de la relation entre les deux protagonistes principaux.
Avec Gyo, Junji Ito a un vrai discours sur le couple. Le manga pourrait être vu comme l'expression horrifique d'une crise de couple. Quand Kaori ne supporte pas l'odeur présente dans l'atmosphère on dirait qu'elle ne peut plus tolérer une relation de couple qu'elle juge toxique. Tadashi ne va pas être dans l'écoute.. Bataille d'égo, joutes verbales, l'horreur s'inscimise dans le couple. Alors que la crise augmente, Kaori va perdre peu à peu l'esprit tant l'odeur lui est insupportable et Tadashi va essayer maladroitement de la protéger. Ce n'est que quand il se rend compte qu'il va peut être la perdre que Tadashi va faire face et se remettre en question.
Je ne veux pas plus décrire cette histoire de couple pour ne pas trop influencer votre lecture, surtout que tout cela n'est qu'une interprétation de ma part. Pourtant, en regardant l'histoire sous le prisme d'une crise de couple, je trouve la fin assez belle et pleine de sens.
Le manga est parcouru de scènes délicieuses comme celle du cirque où la folie ambiante donne un aspect ero-guro au titre. Si l'horreur est belle et bien là, Junji Ito ne manque pas d'humour et on peut trouver des scènes macabres très drôles quand elles tournent à l'absurde.
Ce qui est impressionnant dans le dessin de Ito est sa manière de dessiner le surnaturel.
Ici, il capte avec beaucoup de talent l'odeur que dégage le virus ainsi que la fumée qu'elle dégage. Certaines séquences horrifiques sont fascinantes tant tout passe par ce qui est intangible.
Les traits rendent l'atmosphère continuellement brumeuse voire étouffante. Je trouve que c'est un vrai tour de force d'autant plus que le rendu visuel est sublime. Ce travail visuel donne une atmosphère mystérieuse et étrange assez délicieuse.
La lecture de Gyo est avant tout une lecture qui passe par le ressenti et le visuel. C’est une véritable expérience de lecture qui vaut la peine d’être vécue, même quand on n’est pas friand d’horreur.
Le livre se termine sur 2 histoires courtes, La triste histoire d'un père de famille et Le mystère de la faille d'Amigara. 2 histoires aussi terrifiantes qu’étonnantes de par la manière dont Ito amène l'étrange et le surréalisme avec beaucoup de malice et de second degré. La noirceur est pourtant bien présente et ces 2 lectures sont glaçantes. Je trouve que Le mystère de la faille d'Amigara est une petite pépite qui montre tout l'imaginaire qu'est capable de déployer Ito en seulement quelques pages. Un coup de cœur que j'ai autant aimé que Gyo qui est pourtant une histoire bien plus longue.
Œuvre aux multiples facettes, Gyo est une lecture que j'ai trouvé assez sidérante. Entre l'horreur, des transformations physiques, l'étrange amené par l'odeur du virus, la folie instaurée par certaines scènes et l'intéressant propos sur le couple, Gyo est un manga très riche et passionnant que je recommande chaudement !
Manga avant tout graphique, il regorge pourtant de qualités insoupçonnées. Un coup de cœur pour ma part et vite, vite un autre Junji Ito !