Quand, d’aventure, je hasarde mon regard dans les yeux d’autres lecteurs d’une œuvre que je m’apprête à lire, j’arrive parfois à dessiner par avance les contours de ce qui définira mon périple. Je les lis les critiques des autres membres de SensCritique, je les prends même en considération. Ça ne signifie pas pour autant que je les comprends toute. Il y a, dans l’esprit humain, une part de mystère qui a à voir avec la folie douce. Par-là, j’entends que la connerie a un aspect plus mystique qu’il y paraît.
Ah c’est beau H2. Un style de dessin classique, à l’ancienne – la date de publication veut ça – qui, avec une simplicité folle, parvient, sans aucun effet, sans le moindre excès de plume, à faire jaillir des sentiments. Pas de cris agaçants, pas de larmes obscènes ; du Mitsuru Adachi, ça s’écrit et ça se dessine tout en pudeur. Ces mérites, je les mentionne ici comme je les ai encensées plus tôt, le temps de ma critique de Touch, première œuvre à succès d’un auteur qui a marqué son époque et les lecteurs. Un auteur qui, du seul fait qu’il sache maîtriser sa narration en la privant de la moindre emphase grotesque et tapageuse, a comme une aura qui l’enveloppe. Pareil à Taniguchi, sa minutie dans le trait et dans l’écriture appuient et soulignent une humilité sincère et authentique à laquelle personne ne sera jamais indifférent. Il y a une ambiance ; une atmosphère de quiétude qui nous enrobe sans être doucereuse.
Créer une ambiance, évoquer un air rien que depuis ses planches, c’est un mérite ; c’est même une preuve. La preuve d’un talent véritable dans la narration et la mise en scène de ce qu’on rapporte. Et ça, ça n’est pas donné à tout le monde.
La la mise en scène, fatalement, repose sur les éléments présents sur la scène. Eux aussi, comme pour Touch, ils sont plaisants de simplicité – et non de naïveté – là encore établis avec précaution et une pudeur dont on peut dire qu’elle est proverbiale tant elle consacre la griffe de son auteur. Seulement… j’ai comme une impression de déjà vu ; et c’est jouer à l’ingénu que d’écrire ça.
Mitsuru Adachi est encensé du plus grand nombre. La chose n’a rien d’étonnant, c’est un grand auteur, nonobstant les réserves que je puis avoir sur le fond de ses œuvres et qui tiennent à des affinités personnelles. Mais encensé, il l’est de trop et trop souvent. On voit, chez ses lecteurs, des yeux qui brillent à en rompre les ténèbres. Alors je lis, je regarde scrupuleusement ce qu’on me présente et… d’une voix hésitante, j’ose adresser ce message à leur endroit :
« Mais…. c’est la même chose que Touch ».
J’affabule ? Il est littéralement question d’un triangle amoureux dans le cadre d’un récit qui s’orchestre autour du baseball estudiantin. Naturellement, l’histoire n’est pas la même… mais c’est finalement un prolongement de la précédente. On change les noms et on recommence.
« Béotien que tu es ! Ne vois-tu pas la subtilité dans l’écriture ? Celle qui veut qu’en dépit d’apparences analogues, les œuvres du maître se distinguent admirablement les unes des autres?»
Et bien béotien je dois l’être plus que de rigueur car je n’arrive simplement pas à passer à côté de ce point essentiel : H2, c’est Touch, mais avec un autre nom. Ça n’est pas un calque, mais ça démarre de l’exact même point de départ sans trop bifurquer de l’itinéraire précédemment entrepris. Et j’ai le sentiment que dire ça, c’est commettre un crime de lèse-majesté.
D’habitude, je me fais un plaisir de blasphémer quand le dieu qu’on adulte est surestimé à outrance, mais ici, je dois admettre que l’auteur a d’immenses mérites. Aussi, c’est avec des pincettes que je viens profaner ses œuvres…. Car la profanation s’impose dès lors où il s’agit de rapporter quelques vérités qui, si elles ne font pas plaisir à lire, font un bien fou à écrire. Même que je remue le couteau dans la plaie…
En 2014, on avait présenté à Mitsuru Adachi le visage de chacun des protagonistes de ses nombreux mangas puis, par taquinerie – par défi peut-être – on lui avait demandé d’identifier chacun d’entre eux.
Il en fut incapable.
Les œuvres de Mitsuru Adachi ? C’est un recyclage qui n’en finit pas. Ce qui en résulte n’a plus exactement la même forme que ce dont il est issu… mais il est composé des exactes mêmes fibres. Même les personnages principaux ont la même tête. Son style, certes, offre peu de variété pour ce qui est d’approfondir les visages… mais on peut tout de même se permettre de lui en faire la remarque.
Touch était grand sans être grandiose ; H2 est moyen car il n’en est finalement qu’un morceau qu’on en a extrait. C’est la deuxième poupée russe. Une poupée dont les motifs sont différents, mais qui est fait de la même matière, qui en a la même forme et qui a en plus le culot d’être littéralement puisée d’une poupée précédente un peu plus grande.
Il est des auteurs dont on aimerait qu’ils s’en tiennent à leur registre de prédilection et écrivent des suite inspirées d’une de leurs œuvres précédentes (je tuerais pour une suite de Golden Kamuy). Mais dans le cas qui nous concerne, il y a de quoi quémander de la variété… espérer autre chose. Et pour avoir consulté la bibliographie de l’auteur…. c’est toujours la même soupe, mais servie depuis une soupière différente. Ah, c’est une bien jolie soupière, je vous l’accorde, mais c’est pas ça qui va aromatiser la pitance.