Les saveurs du palais [critique T1 et 2]

Cette série est comme un feu d’artifices : cela pète de partout, part dans toutes les directions (un feu d’artifices bien maîtrisé ne fait pas cela d’habitude) il y en a de toutes les couleurs, pour tous les goûts. Surtout, Halcyon Lunch nous permet de nous pencher sur une question importante : peut-on apprécier un manga même si on ne voit pas toutes les allusions, même si on ne connaît pas toutes les références (à l’univers du manga, à la culture japonaise…) ? Halcyon Lunch est-il lisible par tout un chacun ou réservé aux spécialistes ?


Un manga pour qui ?


A cet égard, on ne peut que louer les efforts réalisés du côté de la traduction et de l’adaptation du manga (Aurélien Estager power!) pour lui donner une meilleure accessibilité :



  • un certain nombre de références sont adaptées à notre « culture » ;

  • un glossaire est présent à la fin de chaque tome pour expliquer une partie des références made in Japan qui ne sont pas faciles à saisir. (Il y a même jusqu’au volume et la page pour les citations de mangas disponibles en France !) ;

  • enfin, on peut apprécier la série même sans saisir toutes les références.


Ma première lecture de Halcyon Lunch s’est faite sans recourir au glossaire. J’ai compris l’histoire, ri, passé un bon moment. Oui j’ai loupé des références (Jojo’s Bizarre Adventure...), oui je n’ai pas pris la pleine mesure de telle ou telle subtilité. Et alors ? On peut lire une œuvre sans avoir pour objectif de saisir toutes ses références, pour elle-même, parce qu’elle a à nous offrir quelque chose qui nous plaît. Si le manga se réduit à une addition de références et n’a rien d’autre à proposer alors il ne vaut (à mes yeux) pas grand-chose. Il en va de même pour la nation !!!


Halcyon Lunch est plus qu’un patchwork de références. Avec ses neuf-mais-en-fait-onze chapitres, Hiroaki Samura nous offre un trip à lui. Et on y prend goût.


La loose, le plat du jour et les accompagnements


Gen, le personnage principal, nous fait, à l’insu de son plein gré, une crise de la quarantaine version no limit. Avec plus trop de sous en poche, alors qu’il essaye de pêcher, Hyos lui tombe dessus et elle va changer sa vie. Il faut dire que la jeune fille est particulière : avec ses baguettes magiques, elle peut tout becter. Mais vraiment tout. Gen en aura la preuve à plusieurs reprises. On pourrait penser qu’il va la prendre sous son aile, lui faire remporter des concours du plus gros mangeur, établir de nouveaux records du monde et ainsi amasser un joli magot. Ceci n’est pas l’histoire de Halcyon Lunch.


Le quadragénaire va plutôt embarquer Hyos et d’autres personnes dans sa galère (Shinji, un ancien ami qui bossait dans son entreprise et Triazole, la jeune fille qui l'accompagne), trouver des idées pour gagner de l’argent toutes plus foireuses les unes que les autres, en apprendre plus sur les origines de Hyos et puis peut-être se refaire. Ne soyons pas trop durs avec lui : ce n’est pas le seul à en tenir une couche. Il y a une sacrée équipe de vainqueurs dans le manga, du côté de Gen comme des personnages qu’ils sont amenés à croiser.


Et ils vont en croiser pas mal parce que la série part dans tous les sens :



  • Le premier tome permet de dresser la table, de placer les convives et de voir quelques régurgitations ;

  • La situation empire encore dans le deuxième tome, qui nous propose une histoire plus éclatée, où la Team Gen va être séparée pour mieux se retrouver plus tard. L’occasion de voir le Vieil Homme et la Mer featuring Berger Allemand, un Tetsuo turbulent, des immigrés clandestins et des visiteurs du soir (ou du jour) bien montés.


Un courant d’art nommé Hyos


Contrairement à certains, Hyos ne vomit pas quand elle est contente. Mais elle vomit quand même, selon une méthode pas très sexy. Le vomi ressemble à quoi ? A une recomposition de ce qu’elle a mangé. Un réagencement assez radical parfois. Le résultat dépasse souvent les espérances et finalement c’est un certain art qu’elle possède car ses créations sont assez… uniques ? Elles marquent les esprits en tout cas... Toutefois, Hyos aura l’occasion de se signaler autrement, vous le verrez en lisant les tomes.


L'art de la jeune fille est complété par celui de Triazole – qui, comme Hyos, a un bon coup de fourchette – même si l’art de cette dernière est plus dévastateur, qui peut éparpiller par petits bouts, façon puzzle.


Attention toutefois à ne pas réduire le manga à une histoire de vomi. Il y en a, oui, mais tout ne tourne pas autour de cela et l’humour à ce sujet est heureusement i) réduit et ii) judicieusement agencé.


Délire à tous les étages


Au-delà de son histoire secouée, Halcyon Lunch interpelle pour la savante mise en scène de l’humour. Ce dernier passe par la construction de la parole (propos, ton, invention langagière, références, lettrage, positionnement…), des planches (scènes invraisemblables, trombines des personnages, insertions et commentaires bidonnants : les messages de Shinji qui nous raconte son voyage avec Triazole…) et tout un tas de tableaux, résumés, recette et autres commentaires qui taillent les personnages, secouent le quatrième mur… Je savais l’auteur capable d’humour dans ses séries, mais je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi loin.


Le chien Ascii m’a définitivement achevé tellement il est… (en trois lettres). Entre les propos qu’il sort, sa dégaine, ses « instincts », la baston avec Gen… c’est un sacré numéro, peut-être le meilleur symbole de la série. Si vous aimez les chiens il vous plaira. Si vous ne les aimez pas, il vous confirmera dans votre position.


On passe vraiment un moment dépaysant avec ce manga. Les jolies couvertures, l'intrigue, les personnages, les mots de l'auteur, tout cela donne une saveur salée-sucrée à la série. L'envie de se resservir est là.


Halcyon Lunch, un manga beau « comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! » (je pille Lautréamont pour finir)

Anvil
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le 12 mai 2016

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Anvil

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