Sans le savoir, je connaissais déjà le travail d’Adrian Smith avant de (re)découvrir son nom via Chronicles of Hate : de fait, le dessinateur britannique est intimement lié à l’écurie Games Workshop, dont il est certainement l’un des plus fameux illustrateurs. Il n’est ainsi guère étonnant de constater, avec du recul, combien le présent comics arbore une esthétique à tomber à la renverse dans l’épique et le saisissant, marques de fabrique indissociables des univers estampillés Warhammer.
Pour l'heure, Chronicles of Hate tend néanmoins à se suffire à lui-même : car dans le sillage de son identité graphique remarquable, c’est tout un hommage ténébreux à la dark fantasy qui s’y tisse, une destinée en grande pompe s’y déployant dans un théâtre brutal et obscur dépourvu de réel espoir. Un récit mouchant le manichéisme et l’héroïsme de bon ton, son protagoniste misérable contrevenant à l’imagerie classique de l’élu : un mutant nabot, tripode de son état, affublé d’un faciès sens dessus-dessous, où tout concourt à souligner l’incongruité d’un destin joueur comme cruel, menant l’esclave des bas-fonds à se sacrifier au profit d’une cause le dépassant.
Adrian Smith ne lésine alors pas sur les embûches qui entraveront sa quête, ces dernières étoffant un décorum apocalyptique comme chaotique, caractérisé par une violence totale et une horreur viscérale : ce qui, dans l’écrin ô combien noir de son auteur, prendra des dimensions suffocantes, atmosphère poisseuse et relents de fin du monde accompagnant une narration réduite à son minimum vital, quitte à nous perdre rapidement. L’ambition formelle prend de toute façon clairement le pas sur celle scénaristique, l’intrigue s’autorisant d’ailleurs ci et là de curieux raccourcis spatio-temporels pour mieux plonger son « héros » dans l’action.
Globalement, Chronicles of Hate marque donc avec aisance l’esprit comme la rétine… mais sans parvenir à pleinement nous transporter. Sans parler de déception, il convient de souligner en ce sens deux écueils majeurs tant ils sont propres à son identité même : d’abord, l’étiquette « Hate » est tangible quoique loin de nous remuer dans les grandes largeurs, comme si l’hymne à la guerre et le choc des grandes puissances s’oubliaient dans leurs démesures respectives… de la haine oui, mais pas avec un grand H.
Enfin, s’il est sublime de noirceur, il est regrettable que sa lecture soit rendue fastidieuse faute d’un contraste plus prononcé : peut-être s’agit-il là d’un problème d’édition, mais le fait est que cela dessert grandement l’efficacité de cette nuit éternelle, elle qui s’avère paradoxalement aveuglante.