Hell's Paradise
6.8
Hell's Paradise

Manga de Yûji Kaku (2018)

Gardons un esprit ouvert. Ne partons pas le défaite au cœur. Comme le dit la chanson, déjà ? Y’en a des biens. Ça doit bien valoir pour les Shônens récents aussi, non ? Des occurrences qui donnent matière à espérer, il s’en sera trouvé sur mon parcours. Rarement, mais je peux bien encore croire au printemps pour un gazouillis d’hirondelle.

C’est la boule au ventre que je les lis, les Shônens. À la lecture, j’y vais comme on va à la mort. C’est vous dire toute l’estime que je témoigne au paysage Shônen contemporain. Il faut dire que j’ai déjà tant et tant craché dessus – et toujours à dessein – que la salive vient à me manquer. Sans lubrifiant pour articuler le verbe, je n’ai plus envie de cracher, postillonner ou même trop en dire quoi que ce soit, du paysage Shônen. Je l’ai peint sous toutes les figures de style, des plus sobres aux plus colorées. Il serait peut-être temps d’une nouvelle ère ; d’un changement de paradigme. Ne serait-ce que pour aérer un air empuanti par les immondices amoncelées depuis trop longtemps.


Peut-être, pourquoi pas, Hell’s Paradise – ou Jigokuraku – pourra dénoter dans la morne symphonie, ne serait-ce que pour suggérer un semblant d’aspérité dans cette vallée stérile et poussiéreuse que constitue l’horizon Shônen aujourd’hui. Mais le contrecoup de l’espoir, c’est la désillusion.


C’est déjà bien dessiné, ma foi. Pas de ces contours ronds et encrés plus que de raison comme on n’en a trop l’habitude, mais un sens du détail prononcé et des esquisses fines. De quoi bien agrémenter le caractère sanglant que souhaite revêtir l’œuvre. En plissant les yeux – et se faisant borgne – on pourrait parfois y voir le génie graphique du Kishimoto des débuts. Celui de Naruto, je précise. Pas l’autre.

Dans les faits, ça ressemble davantage à du Gege Akutami en vaguement plus éthéré. Que l’auteur soit un disciple de Tatsuki Fujimoto n’étonnera en rien. Il se sera inspiré de ce dernier en tout, sauf de ce qui tient à ses points forts, à savoir ceux tenant à la mise-en-scène. C’est le mieux qu’on puisse espérer quand on fraye, dans le Shônen aujourd’hui. Un trait qui, le temps de Hell’s Paradise, s’assume assez mal sur la longue durée pour gentiment s’abâtardir. Le dessin est, je le crois, trop exigeant pour que l’auteur put rester au niveau à chaque chapitre qui lui venait.


Une première parution en 2017 ; au regard de ce que nous délivre le premier chapitre, ça m’interpelle. Même que ça me contrarie pour tout dire. Alors voilà que je recoupe les dates et, d’emblée, je fonde ma thèse. Voyez que, l’amorce du scénario, nous entraîne vers une expédition. Une qui mènera ses protagonistes vers un monde inconnu d’où quelques hardis, pas même rescapés de leur aventure, ont rendu leur cadavre comme témoignage du péril qui attendait les curieux. Une terre inexplorée, hostile, d’où des mystères conduisent à quelques morts incongrues… ça a furieusement comme une douce impression de Hunter x Hunter. En tout cas, de ce qui aura initié l’arc du Continent Sombre dont je retrouve ici un portrait craché. Craché maladroitement, mais on est toujours trop maladroit quand on a le culot de vouloir marcher dans les pas de Togashi.


Resucée d’intrigue ou non, Togashi n’ayant à ce jour pas encore défloré les rives de son arlésienne de Continent, on ne trouvera aucune prise sur l’œuvre si l’on souhaita crier au plagiat. Là n’est, en effet, pas le sujet des griefs qui me viennent passés le premier chapitre. La puissance des protagonistes, ce qui fonde leur force, n’est pas franchement définie. On peine – et on peinera encore par la suite – à se faire une idée des limites des capacités surhumaines qui nous sont présentées.

Pour comparer, en s’emparant d’une autre affaire de ninjas afin de proposer le contraste, j’invoque Basilisk. L’original, pas sa piteuse suite, est-il seulement besoin de le préciser. Dans Basilisk, les ninjas d’Iga et Koga avaient chacun un pouvoir qui leur était attribué ; leur stand dirions-nous, s’il s’agissait de mieux filer la métaphore. C’était comme ça, jeté au lecteur comme un TGCM de bon aloi, et on composait avec en conséquence. Avec Hell’s Paradise, l’entraînement permet d’accéder à une force surhumaine, à du ninjutsu, sans pour autant qu’un ressort fantastique – outre la question du monde qu’ils s’apprêtent à explorer – n’ait part à l’affaire. Un court encart afin de justifier un force surhumaine qui sera celle de certains, ainsi que leur évolution. Naruto avait le chakra pour légitimer ses ressorts surnaturels ; il n’y a cependant rien de commun ici, pas d’élément à même de bâtir une cohérence dans l’exhibition des forces en présence. Niveau échelle des pouvoirs, tout cela apparaît bien mal branlé, et la suite ne nous aidera pas à nous dépêtrer de ce sentiment, un peu plus palpable chapitre après chapitre.


Les effets de manche, du bout du pinceau, ne trompent rapidement plus personne. Cette propension qu’a Yûji Kaku a tordre les gueules et multiplier les gerbes de sang afin de rendre le contenu plus… mature (?), perturbant (?), décidément ne prend pas. J’écris et je réécris, à chaque occasion qui me vient, une ébauche de traité sur la violence chaque fois que le sang ne pleut que trop à verse. Parfois à dessein, mais souvent dans l’inconséquence irraisonnée.

Pour que la violence, dans une fiction, ait un impact sur qui en est témoin, elle ne doit pas se borner à des critères purement esthétiques comme c’est le cas ici ou ailleurs. Il faut un propos. Pas des élucubrations pompeuses et présomptueuses, non, mais que la violence soit tournée vers un objectif autre que le déballage de violence à des fins racoleuses. Elle doit nous suggérer quelque chose lorsqu’on la contemple, pas nous apparaître banale à force d’avoir été si mal répandue sans un objectif quelconque en tête.


Cela fera grincer des dents et même crisser les pneus, voire même l’inverse, mais au risque d’être discourtois en pointant fébrilement du doigt cet éléphant dans le couloir, je le dis ou du moins, je l’écris : Hell’s Paradise, dans ce qui le constitue fondamentalement, est tiraillé entre l’idée d’un Samurai Deeper Kyô aux traits noircis, et celle d’un Sidooh moins babillard. Les gueules cassées par le tracé d’un crayon souhaitant accentuer la laideur des antagonistes – car s’ils sont moches, ma brave dame, c’est qu’ils sont méchants – m’aura rappelé cette même tendance qu’avait Nohuhiro Watsuki du temps de Kenshin.

Ce n’est parce qu’un film est interdit aux moins de dix-huit ans qu’il est mature ; cela tient aussi parfois et souvent à l’exhibition immature d’un contenu supposé choquant pour ce qu’il a de saignant. Et c’est de là, fondamentalement, dont nous sommes les témoins dépités, chaque chapitre venant.


Le manga apparaît bien vite pour ce qu’il est, à savoir une succession sans cesse moins bien justifiée de prétextes à l’affrontement débraillé. Les chorégraphies de combat vous laisseront un goût insipide sur les prunelles tant on n’y voit que des gesticulations tranchantes, orchestrées sans ordre précis ou défini. Un combat, sur le plan scénographique, ne s’organise pas en principe en enchevêtrant les coups les plus violents de part et d’autre jusqu’à ce que l’un suppose. Il y a un rythme à imposer, une pagination à mettre à contribution pour soulever l’intensité ou la pertinence d’un instant donné. De cela, il n’en sera jamais question, et d’originalité ou d’astuce véritable dans les combats, encore moins. Ils se battent pas, les protagonistes de Hell’s Paradise, ils se tapent dessus et voilà tout.


On a beau les égrainer l’un après l’autre ces chapitres, on jurerait lire sans cesse les même, le tout étant réagencé dans un ordre différent afin de simuler un éventuel changement. Le scénario glisse plus qu’il ne se développe, multipliant des antagonismes aussi spécieux qu’inopinés qui ne sont là que pour prolonger le spectacle. Que ce soient les enjeux, les personnages, ou l’intrigue, tout tient à peu de choses au point de ne se raccrocher à rien. Rien ne donne envie d’y croire, à cette histoire, de s’y lancer à travers la lecture. Non, l’aventure Hell’s Paradise, je l’ai subie mornement. Mon séjour en sa compagnie, je l’ai passé à me navrer chaque fois qu’un affrontement avait lieu sans qu’il n’ait de justification autre que « Le méchant est un méchant défini par sa méchanceté, les gentils se doivent de s’y opposer ». Mais en emballant le tout dans des couleurs censément trompeuses afin d’émuler – bien mal – quelques soubresauts de subtilité apparente, et apparente seulement.


Hell’s Paradise est à ranger aux côtés de ces Shônens nouvelle-cuisine, ceux que j’avais baptisé comme les création de « l’Ère de Rien », parmi lesquelles on comptera aussi bien les Jujutsu Kaisen, Chainsaw Man et autres Sakamoto Days pour les plus notoires – et non les plus illustres – d’entre eux tous. Plantez-les dans le terreau qui vous plaira ces mauvaises graines, il en poussera toujours une plante aux fruits rances lorsque ceux-ci parviennent à avoir du goût. C’est pas de cette flopée de Shônens « nouveaux » que nous parviendra la petite pépite venue revigorer le genre. Le nouveau de cette ligne éditoriale, déjà, commence à être daté à supposer qu’il ne le fut pas de naissance ; souhaitant qu’après avoir trop épuisé le genre, quelques audaces créatives se profilent. Car ça n’est pas le tout d’offrir du nouveau depuis 2017, il serait peut-être temps d’envisager l’originalité.

Josselin-B
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le 5 nov. 2024

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Josselin Bigaut

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