Helter-Skelter
7.4
Helter-Skelter

Manga de Kyôko Okazaki (2007)

Quoi que l’on en dise, la mode et le Star Sytem nous entourent. Que l'on y soit sensible ou non, ce phénomène est présent dans notre société et dicte ses lois. Aujourd'hui il s’est banalisé dans notre vie, tous les jours un nouveau scandale éclate et fait la Une de nombreux magazines et sites People. Lili est une de ses People, mannequin, chanteuse, actrice, égérie de mode, modèle pour marque… elle est au actuellement au top de sa popularité.


Véritable modèle de beauté pour la jeunesse, attisant l’envie tout comme la jalousie, elle est sur toutes les lèvres et discussions. Montrant une vie rêvée et féerique, elle sait parfaitement manipuler les médias, distillant l’information qui les intéresse, mentant sur la véracité de ses dires, et affichant un visage de connivence. Malgré que les masses l’idolâtre, Lili est bien trop parfaite sur tous les points et cache, à la vue de tous, de lourds secrets et sacrifices. Pour réussir, elle a eu recours intégralement à la chirurgie. Ce corps et ce visage si parfait, cette beauté « naturelle », que tout le monde envie n’est que le fruit d’un chirurgien.


Pour maintenir sa beauté, Lili est obligée de faire des allers-retours réguliers à la clinique. Une enquête policier sera ouverte contre les pratiques illégales des chirurgiens utilisant des produits interdits et indispensables aux traitements. Celui-ci obligeant les filles à revenir ou à se suicider si elles ne peuvent assurer la suite financièrement. C’est le prix à payer pour être au top.


Totalement dépassée par son propre jeu elle montera un visage bien moins angélique que sur les plateaux. Lili se sent seule malgré son petit copain, gosse de riche, qui ne la voit que pour coucher. Elle est connue de tous, mais elle ne connaît personne. Le soir elle se retrouve seule face à elle-même, devant sa beauté qui s’effrite. Elle ne trouve plus le sommeil et devient de plus en plus instable et lunatique. Seul l’augmentation de ces médicaments la calme temporairement, créant un cercle vicieux sans fin.


Au fil de l’histoire, nous suivrons le plongeon en enfer de notre mannequin entrainant avec elle son assistance. Elle profite sexuellement d’elle qui se soumet à ses caprices et lui fait faire les basses besognes, voir des actes odieux. Elle blesse ceux qui l’entoure et quand l’agence recrute une jeune fille de 15 ans, à la peau naturelle, elle s’enfonce encore plus. La vraie Lili est l’opposé d’image si parfaite qu’elle renvoie.


L’auteure trace ici une lourde critique sociétale sur la mode et son diktat. Le lecteur suivra la vie de notre mannequin, qui est déjà au top, l’histoire n’a pas de but final hormis de dénoncer la réalité de notre société superficielle. Le manga est un Josei (manga pour jeune femme adulte), la narration et l’histoire se focaliseront sur les humeurs des personnages, leurs évolutions et les actes qui en découlent.


La mangaka met en place des personnages humains montrant toutes leurs faiblesses, le lecteur aura de nombreuses occasions d’avoir de l’empathie pour ces individus qui essayent juste de survivre dans leur monde. L’important est d’encrer l’œuvre dans la réalité et faire ouvrir les yeux, car au final, nul enjeu, nulle quête, ou rebondissement abracadabrant, c’est la mise en situation de la vie morbide d’une star sur le déclin qui est romancée. L’enquête policière sera d’ailleurs un point indispensable au récit pour faire revenir toute cette folie sur terre.


Dans de nombreuses situations OKAZAKI n’aura de cesse de montrer la perversité du système.
Les thèmes sont nombreux : le sacrifice de ces filles, la souffrance endurée par les opérations chirurgicales, les dérives sexuelles pour occuper son ennuie, l’image aseptisée et faussée renvoyée à la jeunesse, la dure réalité de perdre sa beauté et d’être remplacée par une autre, la manipulation des médias, le cercle vieux des médicaments et bien d’autres qu’il serait trop long de citer.


L’auteure ne porte pas d’accusation directe ou n’est aucunement moraliste. Certains sujets sont évoqués ou simplement sous-entendu, c’est le lecteur qui déduit leurs intrications, créant ainsi sa propre conclusion et ses leçons de morale. L’histoire est racontée de façon à faire réagir sans accuser directement le problème. Toutefois cette vision de la mode est appliquée au modèle japonais, avec ces stars qui multiplient les métiers, et le management qui en découlent.


Bien que la qualité du contenu ne soit pas à démontrer, celui-ci ne plaira pas à tout. Sa narration très brute et rapide n’aide pas à la compréhension de certains passages. Les changements de lieux sont très rapides et se font en une case sans indication visuelle. Certains personnages se ressemblent fortement, il n’y a aucune introduction des personnages et les liens se découvrent au fil des situations.


Cette tranche de vie nécessitera une seconde lecture sur certains passages, mais les amateurs de Josei ne seront certainement pas dépaysés par cette narration. L’ambiance se veut réaliste, nous sommes dans un manga pour adultes avec certains passages psychologiquement difficiles et noirs. Il n’y a pas de sexe à proprement parler, mais de nombreuses scènes affichent de la nudité intégrale, des dialogues crus, sans être vraiment montré de vraies scènes érotiques.


Comme vous l’aurez compris cette œuvre s’adresse en premier lieu aux mangaphiles qui sont à la recherche d’un message, un partit pris, une seconde lecture et une réflexion sur notre société. Au final le récit évoque un problème bien plus profond sur une jeunesse en déperdition de repères moraux.


Le manga s’achève sans se terminer, en effet ce one shot de 300 pages constitue sa première partie. La mangaka n’a pas pu l’achever suite à un accident de voiture non mortel, dont elle a été malheureusement victime en avril 2003. L’œuvre a obtenu le prestigieux Grand prix Tezuka en 2004!


Dessin :
Le dessin est particulier, à la fois épuré et simpliste, il ne sera pas du goût de tous. L’auteure a indéniablement son propre style, le plus proche étant celui de son ex-assisante Moyoco ANNO (Happy Mania). La mise en case est assez carré avec des personnages sans réel relief visuel. Cela donne des pages assez « plate » et pas trop surchargé. Le mouvement reste bien représenté et les personnages ne sont pas statiques. Les bulles de texte qui prennent une place importante grappillant régulièrement sur le dessin. Le style, bien qu’atypique, reste dans le style Josei.


Édition :
Casterman a édité le manga dans sa collection Sakka auteurs. Dans un format moyen (env. 15x21cm). Le livre, avec une couverture qui tire l’oeil, propose un carré-collé avec rabat. L’ouvrage est très bonne facture, les pages sont épaisses, de qualités et aucunement transparentes. Des pages couleurs sont proposées en début de volume avec de belles illustrations de la mangaka et les onomatopées sont traduites. Le titre comporte un effet pédiculé pour le faire ressortir. Comme dans toutes les éditions Sakka, une présentation rapide de l’auteur est présente en fin de volume, plus un texte plus personnel sur sa situation en 2007.


Conclusion :
Helter-Skelter est un excellent Josei traitant des problèmes de société actuels. L’auteure décrit avec réalité et dureté une critique sur cette société aveuglée par la beauté fantasmée et la réalité cachée de ces top-modèles qui souhaitent rester au top. À découvrir d’urgence pour les lecteurs qui cherchent du manga différent !

darkjuju
9
Écrit par

Créée

le 5 déc. 2020

Critique lue 181 fois

darkjuju

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