On a beaucoup glosé sur les privilèges accordés aux anciens présidents de la République. Ils ont à leur disposition deux fonctionnaires de la police nationale, ils se voient gratifiés d’un appartement de fonction meublé, ainsi que de deux employés affectés au service des lieux, ils peuvent s’entourer de sept collaborateurs permanents rémunérés par l’État et sont véhiculés à travers la France à l’aide d’une voiture de fonction conduite par l’un des deux chauffeurs leur étant attribués… Ce que l’on ignorait en revanche jusque-là, c’est qu’ils sont intégrés, après leur mandat, au sein d’un Ministère secret chargé de protéger la France – et d’enrôler en son nom les meilleurs agents étrangers. C’est en tout cas le postulat, assez savoureux, de Joann Sfar et Mathieu Sapin. Avec cette singularité servie comme une friandise : le dessinateur de Héros de la République figure lui-même dans l’album, en qualité d’ami de François Hollande et protagoniste de premier plan.


Pendant qu’à New York, l’imposant Yaacov Kurtzberg (clin d’œil évident à Jack Kirby) se voit signifier une interdiction de quitter le sol américain, à Paris François Hollande reçoit un appel nocturne de… Nicolas Sarkozy. Sa compagne Julie Gayet, méfiante, l’en conjure : « S’il te propose des choses pornographiques ou des valises de billets, tu dis non ! » La tonalité de l’album est déjà largement éventée, et ce ne sont certainement pas les encadrés ironiquement infantilisants, sous prétexte que « le QI global de la population a perdu dix points en dix ans », qui y changeront quelque chose.


Les deux anciens présidents, auxquels se joint Mathieu Sapin, ne vont pas tarder à croiser la route du colosse Kurtzberg, désormais sur le sol français. Ce dernier enlève le dessinateur, désinhibé par une substance médicale, en appelant constamment à ses copains de Libé ou Mediapart, et se montrant aussi attachant que pathétique. Nicolas Sarkozy, cigare aux lèvres et lunettes de soleil sur le nez, avait pourtant prévenu son successeur à l’Élysée : pour cette mission, Mathieu ne fait pas le poids. Et d’ailleurs, pourquoi chicaner ? « Alexandre Benalla est sans emploi. »


Caricature, détournement et non-sens


En détournant les codes des comic books, en usant d’intrigues géopolitiques absurdes, en caricaturant à l’extrême des personnalités publiques aux aspérités fortes, Joann Sfar et Mathieu Sapin ne ratent pas le coche : Héros de la République est rythmé, souvent désopilant, caractérisé par des tirades bien troussées et des rebondissements ébouriffants.


Le pathétisme en bandoulière. François Hollande sursaute dès qu’Éric Cantona ouvre la bouche. Nicolas Sarkozy est sans ambages. Quand l’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste se dit désolé d’avoir frappé Mathieu Sapin, il répond laconiquement : « Ne vous excusez pas, j’allais l’abattre. » Quant à savoir comment Hollande a pu décrocher la magistrature suprême, l’ancien ministre de l’Intérieur a sa petite théorie : « Parce que DSK s’est fait serrer au Sofitel. »


Donald Trump n’est – bien entendu – pas épargné. En quelques cases, il apparaît comme un président monoïdéique, ignorant la géographie de son pays et imaginant la France comme un pays rétrograde (dépourvu de téléphones comme de bandes dessinées). Son visage exagérément orangé force le trait exactement comme le torse nu de Vladimir Poutine dans un froid glacial, quand ce dernier chasse le tigre blanc sur le dos d’un ours brun. La dernière protagoniste, et non des moindres, n’est autre que Greta Thunberg, acceptant que la population mondiale soit décimée pour préserver le climat, et s’écriant, même pas gênée : « I have not been to school for two years. What is taxifolia ? »


Pendant ce temps, pourchassés, cherchant à s’isoler loin des regards indiscrets, Yaacov Kurtzberg et Mathieu Sapin se réfugient… dans un ciné-club. Pour se soustraire au monde, au propre comme au figuré, il suffit finalement de se poster devant un film d’Ernst Lubitsch. Le problème, et ce n’est même pas le plus improbable dans cet album, c’est que des reptiliens et des ninjas de la Porte verte ont investi les lieux. Les deux loges se sentent trahies par Kurtzberg, qui les a bernées en se rapprochant successivement des deux camps. Héros de la République ne cesse ainsi de se piquer de non-sens, entre hachures, rondeurs et points de trame, avec un sens de la formule souvent vertigineux, comme en témoigne cette assertion fleurie : « Hollande ne se chie pas dessus parce qu’il est digne et que c’est un ancien président, mais vous, vous auriez déjà l’étang de Berre dans le falzar à sa place. »


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 21 mars 2021

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