Il est indéniable que Masasumi Kakizaki signe ici un one-shot glauque et terriblement efficace.
Un jeune couple est en vacances sur une île faussement idyllique. Face au mépris de sa femme et la culpabilité de la mort accidentelle de leur fils, l'homme, Seiichi, un écrivain raté, craque.
A l'occasion d'une nuit orageuse, tous deux perdus en forêt, il décide de passer à l'acte et de tuer Miki, son épouse. Celle-ci prend la fuite, son époux lancé à ses trousses. La traque prend une tournure démentielle lorsque tous deux pénètrent dans une grotte sinistre...
Par la voix de son narrateur, Seiichi, l'époux à la détermination homicide, Kakizaki nous compte une histoire horrifique basée sur un drame familial, et s'articulant autour de la haine conjugale et le déni de la responsabilité parentale. Face à une épouse méprisante et castratrice, le protagoniste sans cesse hanté par sa culpabilité, va finir par se convaincre que tout est de la faute de sa femme et qu'en la tuant, il pourra faire table rase du passé.
Le suspense de la traque homicide laisse bientôt place à l'horreur pure et au fantastique allégorique lorsque les deux personnages trouvent refuge dans une grotte abritant une créature aux yeux exorbités, vaguement humanoïde, sa progéniture et son garde-manger. Arborant les vestiges d'une humanité à jamais perdue, le monstre semble déterminé à se préserver du monde extérieur tout en fondant sa propre famille.
Chaque membre de la trinité familiale (Seiichi, Miki et leur fils) trouve ainsi son reflet déformé dans les monstres et les captifs qui hantent les couloirs de cet ancien bunker sous-terrain.
Non linéaire, le récit revient régulièrement sur le passé du couple et sur le drame originel pour expliquer le basculement de leur amour en une haine farouche et meurtrière.
La volonté première et innocente du protagoniste à vouloir fonder une famille, pour se préserver de l'oppression du monde et de la solitude, devient par la suite une véritable obsession, évoquée comme un prolongement logique de l'évolution psychologique du personnage et du parallèle qu'il entretient avec le monstre.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le terme solitude revient plusieurs fois en fin d'histoire, le voeu de fonder une famille tout aussi pur puisse-t-il être n'est souvent que la volonté de remédier à sa propre solitude.
Le graphisme somptueux, terriblement efficace, fort d'un encrage profond, restitue à merveille la noirceur du récit et son propos sous-jacent.
Kakizaki est un artiste talentueux, qui ne se prive pas lors de sa postface à proclamer son amour pour le genre horrifique dans sa globalité et qui aura d'ailleurs nourri cette oeuvre. Car tout en s'inspirant de nombreuses influences, l'auteur arrive à s'en émanciper pour construire une histoire singulière et originale.
Il est indéniable de retrouver ici l'influence des premiers écrits de Stephen King, notamment dans l'évocation de cette haine conjugale qui renvoie à celle du couple de protagonistes de la nouvelle Les Enfants du maïs.
A conseiller à tous les amoureux du genre.