C'est avec Histoires singulières du quartier de Terajima que nous avons découvert Yu Takita au début de l'année 2009. Édité avec soin par les éditions Seuil, je recommande toutefois de découvrir l'auteur avec Chauds, Chauds les petits pains !. Je trouve ce dernier plus facile à aborder et surtout, il contient une postface éclairante sur le mangaka, chose qui est malheureusement absente dans Histoires singulières..
Ce recueil comporte 14 histoires courtes formant un ensemble varié que l'on peut diviser en plusieurs parties différentes. Les 2 premières histoires ont un caractère autobiographique centré sur l'enfance de l'auteur, caractère qu'on peut découvrir plus amplement dans Chauds, Chauds les petits pains. Ces 2 histoires sont imprégnées d'une atmosphère particulière qui est certainement due à l'époque reconstituée (le Japon des années 40). Ces histoires sont très plaisantes à lire et sont aussi drôles que passionnantes. Le dessin est en apparence simple, pourtant il dégage une belle richesse et reconstitue avec nombres détails tout une époque, des gestes, une ambiance.. J'ai vraiment adoré cette partie où douceur, poésie et humour font bon ménage.
On découvre avec les histoires suivantes d'autres facettes de l'auteur, plus centré sur l'humour. On peut regrouper 6 histoires marquées par leur caractère historique. On a remonté dans le temps pour se retrouver à l'époque féodale. Yu Takita se plaît à tourner en dérision l'époque et le ton ce veut résolument parodique et moqueur. C'est drôle, absurde tout en étant juste car pertinent (pour autant que je peux en juger comme je n'ai pas une connaissance profonde du Japon féodale). L'humour fait mouche et l'auteur arrive à créer des chutes réussies malgré la faible longueur des histoires.
Le dessin se fait plus rond, lumineux et léger. Loin d'être moins bon, il dégage toujours une forte personnalité et les bouilles des personnages valent le coup d’œil.
Vient ensuite la dernière partie qui est définitivement satyrique et où l'auteur s'amuse à tourner en dérision la société japonaise des années 70 (soit la période où les histoires ont été dessinées). Le milieu carcéral, les mouvements sociaux, l'amour, la solitude, de nombreux thèmes sont abordés avec humour et esprit. Le ton se veut grinçant et on sourit ou rit facilement tout en sachant que les sujets ne sont pas forcément joyeux en réalité. Ces histoires sont variés et l'auteur critique la société dans laquelle il vivait. Le ton reste léger et les gags visuels sont nombreux et efficaces
Le dessin a tendance à s'aérer encore plus dans cette partie. Très rond et caricatural, le dessin n'est pas pour autant vide et se montre même très inventif. Chaque histoires a ses particularités, l'utilisation du blanc qui prédomine, les onomatopées, les hachures intempestives, les bouilles des personnages, le rythme des cases. Le dessin a beau être simple en apparence, il n'en demeure pas moins complexe et inventif.
J'aime beaucoup ce dessin même s'il peut certainement rebuter les lecteurs souhaitant voir un dessin qui « fait beau ».
Histoires singulières du quartier de Terajima est un manga proposant un contenu riche et varié. Si l'on peut être surpris par les changements d'époques et de tons, l'ensemble reste cohérent grâce à la douceur du regard d'un auteur qui ne manque pas d'humour.
La lecture n'est pas forcément accessible et ne peut honnêtement pas plaire à tous tant l'humour et l'ambiance générale sont assez particuliers. Mais il est tellement rare d'avoir l'occasion de lire du manga patrimoniale et humoristique (hors Tezuka) que je conseil aux curieux de tenter l'expérience.
Ce manga propose une lecture originale, je me suis bien amusé tout en sortant des sentiers battus. Je ne suis pas sur de relire régulièrement ce recueil mais il offre un bon exemple de la diversité du manga. Yu Takita est décidément un auteur important qui mérite une place dans les étagères malgré son manque de reconnaissance en France.