Le monde du manga a connu ses écoles, tout comme la littérature française (et les littératures d’autres pays). Manifestes, œuvres fondatrices servent à créer un mouvement culturel. Dans les années 70, alors que le manga est encore vu au Japon comme un loisir pour enfant, plusieurs auteurs décident d’écrire des œuvres pour les adultes. Les sujets sont noirs, traitent parfois de sexualité, souvent de violence voire de social. Bref, le gekiga apparait. Yoshihiro Tatsumi le raconte très bien dans son sublime Une Vie dans les marges.
Vers cette époque, Shigeru Mizuki imagine Hitler, une biographie dense et intelligente sur le dictateur allemand. L’idée de Mizuki est simple mais brillante, et finalement trop rare. Il ne s’agit pas de proposer une énième charge ou caricature du politicien (« le monstre », « le Mal »…) mais de restituer fidèlement, sans parti-pris, l’histoire de cet homme.
On découvre ainsi l’artiste frustré, le militaire patriote, le désir politique et idéologique d’une Allemagne unie (laver l’affront du démantèlement du pays par les gagnants), etc. Point de leçon de morale, juste une restitution fidèle, précise (de nombreux références : dates, événements, personnages…) qui jalonnent un parcours éclair de la naissance à la chute.
Même si le sujet est connu et rabattu, on apprend quelques petites choses. De l’ordre de l’intime ou non. Parfois, le manga devient bouffon, comme pour désarmer la lourdeur du propos. Mais jamais ces écarts ne décribilisent l’ensemble. Le tout est cohérent, audacieux et intelligent et présente, dans une perspective d’apaisement et de compréhension (et non de haine et de vengeance) le destin d’un homme politique. Une société apaisée se doit de regarder son passé dans le calme, les yeux dans les yeux…un idéal rarement atteint.