Horizon
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Horizon

Webtoon de Jung Ji-Hoon (JH) (2016)

Voilà que je chatouille encore l’envers de la mer du Japon. Au milieu des recommandations de mes abonnés, un petit malin aura glissé une création coréenne ; qui néanmoins reste un manga. Les silences, en ces lieux, ponctuent chaque page, l’image y est propre, l’imagerie cruelle avec, en supplément un paneling qui se sera voulu relativement audacieux le temps d’esbroufer son lectorat avant de céder à l’aboulie.


Ça se voudrait calmement déprimant et triste, The Horizon, si ça n’accablait pas parfois le lecteur d’une narration délibérément pesante au point, à terme, d’en devenir lourdingue. Quand un premier chapitre, intriguant pour ce qu’il a de nébuleux, nous assaille sur les poncifs de la valeur de la vie et autres philosophies contées au doigt mouillé. La licence politique, d’autant plus lorsqu’elle est si bien amenée par une mise en page aussi travaillée le temps du premier chapitre uniquement – ce maigre mérite ne saurait être ôté à ses auteurs – concourt souvent à enrober le lecteur dans une atmosphère enivrante. Suffisamment enivrante en tout cas pour qu’il se laisse aller à la léthargie, heureux de se laisser emporter par le fil d’un récit éthéré et lyrique qui, dans sa langueur, lui fera perdre ce qu’il faut de vigilance pour prêter attention au reste. Car au-delà du lyrisme planant… il y a ce que le voile éthéré recouvre : le corps même de l’œuvre qui n’a pas qu’une âme pure à faire valoir.


Des pages entières où rien ne se passe, où les protagonistes – ceux-ci juvéniles et innocents, afin de mieux chercher à nous ravir les larmes de force – se regardent sans rien dire devant un paysage vide où la désolation, à force d’y être systématique, en devient banal : on peut se laisser mystifier par l’aspect léger et délicat de cette pureté dans les ténèbres. On peut. Moi ? Mes pauvres enfants, il en faut plus pour me mystifier. Quand, comme moi, on a savouré avec délice au point de s’en repaître l’inhumanité somme tout bien humaine dans des œuvres et d’autres, tant d’autres, le calvaire des protagonistes de The Horizon prend des allures de balades champêtres. Ça force trop les sentiments qui y sont distillés. De peu, je l’admets, car la mise en scène et admirablement maîtrisée ; cependant le pathos déborde et colle parfois aux doigts quand ça n’est pas aux yeux.


The Horizon, c’est de la perpétuelle contemplation éthérée à pas cher. Ça ne s’appelle d’ailleurs pas The Horizon par hasard car, la panorama terrible qui s’étale devant nous yeux, il n’en finit pas de nous être rapporté au loin sans un bruit. Je comprends franchement qu’on puisse se laisser saisir, quand sa sensibilité soit très franchement titillée par un appel langoureux à céder à l’ambiance mélancolique bien réelle ici, mais même s’il apparaît de peu, le théâtralisme – aussi bien coordonné soit-il – est trop présent pour qu’on feigne de ne pas le voir. Ça gâte le périple dès lors où on le voit, mais je pense que beaucoup, cédant sans coup férir à l’atmosphère environnante, se laisseront porter par le courant, abandonnant une partie de leur jugement critique pour mieux embrasser la poésie. Qu’importe que les vers qui se succèdent ne veuillent rien dire, tant qu’ils riment bien, le plaisir de la lecture y est. L’ivresse est là, mais le contenu du flacon n’est pas aussi savoureux qu’on affecte cependant de le croire.


La narration littéraire y est omniprésente. Le narrateur ajoute la plume au crayon pour nous raconter tout en nous montrant… vaine affaire que celle-ci. On montre ou l’on décrit ; superposer la narration de ce qui est exhibé et ce qui nous est justement dévoilé pour que nous puissions l’apercevoir de nos yeux est franchement superfétatoire. Un Escale à Yokohama, par exemple, qui affectait un même registre contemplatif, savait raconter habilement sans jamais rien nous dire. The Horizon trouve le moyen d’être trop bavard au milieu d’un silence qui, à lui seul, aurait su être plus éloquent que mille mots si on ne l’avait pas maculé de prose à tout endroit. L’introspection de personnages nous parvient mieux au cœur quand elle se devine que lorsqu’on l’exhibe impudiquement.


L’ambiance contrit dans la douceur, si elle est soignée, devient vite lassante dès lors où l’on refuse de se laisser gentiment mystifier. « Kiffe la vibe, man » me diront quelques esprits avisés qui, d’esprit, en sont quelque peu dépourvu. Seulement la « vibe », « man » elle obscurcit l’acuité critique. Quand on se laisse porter par la Gange, ce n’est pas pour s’y baigner, mais pour y mourir. Accepter passivement tout ce qui vient au nom du romantisme propret qui nous est servi ici : c’est un « non » catégorique. Je trouve bien assez tôt malhonnête cette propension à dissimuler une absence de propos très vite flagrante derrière un appel – même s’il est ici prononcé à voix basse – un appel à l’émotion. L’art en appelle aux émotions, c’est entendu, mais pas seulement. Moins encore d’ailleurs lorsqu’un script y est rodé et rédigé.


Les auteurs savent nous tromper ce qu’il faut dans les méandres d’un chaos dont ils ont eu l’intelligence de ne pas nous présenter le contexte. C’est la guerre. On ne sait pas contre qui, on ne sait pas pourquoi ; la dévastation de l’Homme se présente ici sans contexte, la rendant plus cataclysmique, pareil à un fléau démoniaque. Oui, décidément, la scénographie est travaillée ; ce qui m’enjoint à me montrer plus vigilant encore lorsque, d’une main habile, les auteurs cherchent parfois à me prendre par les sentiments. Dans leur mesure, ceux-ci manquent parfois de tact lorsqu’on décide de lire leur œuvre les yeux grands ouverts.


S’offrant à nous comme un conte doucereux mais macabre dans ce qu’il a de pureté viciée à nous offrir, The Horizon multiplie les situations désastreuses alors que deux orphelins en exil, en partance pour une direction qu’ils ignorent : l’horizon, rencontrent des conséquences fâcheuses de la guerre passées à la moulinette du lyrisme enjôleur. « C’est beau » diront beaucoup. C’est vrai que c’est beau, mais ainsi narré, tout cela a l’air si peu naturel. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir le sentiment que la narration cherche à me forcer la tristesse qui, parce qu’elle est ainsi sollicitée, ne vient alors jamais. Le pathos, même joliment garni, reste du pathos. La candeur des enfants est absolue, leur incrédulité quasiment criminelle tant elle est poussé jusqu’à des strates absurdes, tout cela, afin de contraster avec la méchanceté du monde qui l’entoure. J’ai eu beau m’y essayer à plusieurs reprises jusqu’à manquer de m’étrangler : la pilule passe pas. The Horizon est une œuvre bien foutue mais à mauvais dessein.


Ils sont purs ces enfants, et le monde entier, autour d’eux, n’a que vice et profanation plein sa gueule méphitique. Cinq chapitres, il aura fallu cinq chapitres avant qu’un homme méchant cherche à violer la petite fille. Le profond soupir que m’aura inspiré une errance aussi prévisible m’a fait frôler le pneumothorax. C’est tout le temps ça. Seuls Contre Tous aurait pu être un titre tout aussi acceptable à ce manga afin que la marchandise soit plus franchement présentée pour ce qu’elle est. Y’a pas que des atrocités dans la guerre. L’exode en 1940 en France fut un épisode désastreux, mais il y a de belles histoires à y glaner quand on sait là où regarder ; là où tendre l’oreille.

Mais va pour le misérabilisme grimé en poésie.


The Horizon est un Fire Punch où le « trash » y est passé à la lessiveuse du dessin et de l’écriture pour nous apparaître moins patent et plus subtil. Qu’on ne s’y trompe pas toutefois, car lorsqu’on l’inspecte à la loupe, les malfaçons communes tiennent de l’évidence même. Les personnages y sont aussi insipides qu’improbables – et qu’on m’épargne l’excuse de la prose éthérée pour ne pas avoir à mieux les écrire – et les enjeux se redessinent d’un chapitre à l’autre à force de naviguer à vue. Bien vite, alors que les auteurs en terminent progressivement avec leurs lubies poétiques dans le crayon, on constate alors, une fois les oripeaux envolés, que tout le contenu était finalement aussi mal inspiré que prétentieux.


Que les propos échangés sont creux. À les voir confronter leurs « opinions », ces protagonistes, j’aurais juré en être revenu aux grandes heures des skyblogs où des illettrés avec un quant-à-soi bricolé entre deux visionnages de télé-réalité venaient se déchirer dans un débats virulents et insanes. « Ouais, mais on est tous humains, quoi ! »


Le lecteur, présenté à de tels arguments est censé se lever de sa chaise et de hurler « Mais bon sang de bien sûr, ces enfants ont raison ! ». La rhétorique, rédigée par des ignares, est un spectacle de guignol qui n’en finira jamais de me faire rire. Tout est tellement adolescent dans le fond des thématiques abordées… La nature des discussions n’est pas naïve mais d’une infinie connerie.


Puis ça vire à « apprends-moi à devenir fort » et l’exode s’interrompt en ces termes pour devenir un quasi-shônen avec des armes automatiques mises entre les mains d’enfants. Après avoir lu ça, je ne me ris que mieux des pédants qui nous assuraient que tout, dans cette œuvre, était prétexte au lyrisme et à la réflexion. On les aura attirés avec le fumet d’un plat de maître pour leur faire s’extasier en leur collant ensuite un Big Mac au fond du goitre.


Dramatisme sans profondeur ni imagination, la mise-en-scène des débuts s’est très vite étiolée pour ne plus laisser place qu’à un contenu vide et bruyant se donnant des airs à défaut d’incarner quoi que ce soit de tangible. La scène du bus, sans intérêt autre que ménager une intrigue qui ne sait jamais là où elle va à l’avance, à tout à envier à une scène analogue de Bio-Meat : Nectar ; un manga qui, sans avoir à prendre des grands airs, visait mieux car il visait juste.


La larme, sur le tard, ils la sollicitent plus : ils la convoquent désespérément. « Oooooh, la petite fille sans personnalité est morte ». Ce dont je fus le plus triste à cet instant tenait à l’absolue indifférence qui était la mienne à ce moment-là. La scénographie, vous avez beau y avoir mis des efforts (dans les deux premiers chapitres seulement…), si elle vise à mettre en valeur un caillou inerte et sans particularité singulière… l’entreprise, de base, est compromise. Cette tentative lourdingue à vouloir créer un drame artificiel en se remettant à des manœuvres tapageuses vaut tous les discrédits du monde. Avec en prime une gamine qui se suicide après à coup de pistolet-mitrailleur parce que la vie ça craint. Continuez donc d’essayer de me faire pleurer comme vous le faites, vous finirez par me faire rire aux éclats.


« Ouin, ouin », même à le répéter sur cent-six pages, ça n’est pas communicatif ; c’en est même contre-productif de toute l’impudeur caractérisée que recouvre le procédé. Vous voulez savoir comment faire pleurer sans éclats ou sans avoir à surenchérir dans le drame ? Naoki Urasawa a quelques leçons à vous enseigner. Il faut de la finesse pour faire pleurer, pas des larmes versées à torrent dans la balourdise d’une histoire écrite gauchement et sans but préalablement désigné. Cela suppose aussi de savoir développer ses personnage ; de les écrire pour commencer…


Y’aura jamais de juste milieu entre la candeur juvénile et insouciante présentée par certains personnages ou le caractère implacable et sans remord de l’exact pendant inverse. La nuance ? Pour quoi faire ? Dès lors où il suffit de bâtir un drame en carton pour se saisir des larmes d’un couillon de lecteur, tout effort porté dans l’écriture s’avérera franchement dispensable.


« J’ai été saisi par l’œuvre » jureront les âmes pures. Non. Vous n’avez pas été saisis, vous vous êtes laissés prendre par le premier illusionniste venu. Et pas un qui fut si habile qu’on le croit. Car passé l’esbroufe de l’entame, les cartouches lui manquaient déjà pour ses tours de passe-passe artistiques. À ceux qui veulent devenir des auteurs profonds, enchaînez les cases où rien ne se passe dans un silence contemplatif et vaguement triste avec des poncifs narrés une page sur sept comme un pet venu rompre le silence : vous connaîtrez alors la renommée de Jung Ji-Hoon et d'autres farceurs de la même école. Le tout n’est pas d’être pertinent, mais de paraître profond par des effets de style.


Et la morale de l’histoire… voudrait-on nous prendre pour des crétins faciles à enrhumer qu’on ne s’y serait pas mieux pris. « Oui, mais après la pluie, vient le beau temps ». Merci Madame Michu, mais fallait vraiment pas se sentir obligé de nous faire un manga faussement profond pour nous asséner un lieu-commun élimé jusqu’à la dernière fibre. Il y a un Panthéon des œuvres surestimées à outrance pour ce qui tient à leur supposée qualité : The Horizon en est.

Josselin-B
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le 5 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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