Mon Taniguchi préféré à ce jour.
On fait tout un foin de Taniguchi, et si je ne lui dénie pas une vraie rigueur d'écriture, j'ai toujours trouvé son graphisme un peu statique, figé. Ce livre m'a montré que ce n'était pas toujours le cas.
Taniguchi au dessin, Moebius au scénario, pour une BD de SF intitulée "Icare"... ma première réaction a été : "Ho, mais pourquoi ils n'ont pas fait l'inverse ?". Mais en fait ça fonctionne très bien.
Taniguchi prend un style graphique qui rappelle ici beaucoup K. Otomo, le créateur d'"Akira" (c'est d'ailleurs marrant, cette proximité lexicale Icare/Akira). Le scénario lui-même rappelle la série d'Otomo : un enfant naît avec le pouvoir de léviter à volonté. Le gouvernement décide de classer son existence secret-défense et le confine dans une grande verrière pour lui faire passer des tests. Pendant ce temps, des terroristes psy capables de se faire exploser font des attentats. Le gouvernement songe à utiliser Icare, qui a atteint 20 ans, mais ce dernier tombe amoureux de l'anthropologue qui l'accompagne, Yukiko. Il parvient même à s'échapper. S'ensuivent plusieurs scènes de poursuites impliquant ses deux mentors : Kimura, un gros neurochirurgien qui veut opérer Icare pour le manipuler et produire en série des hommes volants, et le directeur, qui est plus humain. Et bien sûr des forces d'intervention en armures doublées d'hélicoptère.
J'ai lu l'interview de Moebius qui clôt la réédition de 2010 chez Kana. Il en ressort que Moebius avait prévu tout un cycle genre "L'incal", où Icare était seul, perdu dans la ville, et prenait part à un contexte géopolitique compliqué, ainsi qu'à une romance avec une star du porno scatophile (oui, oui). La sexualité "adulte" (je pense que Moebius entend ça dans le même sens que Canal +) aurait aussi joué un rôle bien plus important. Au final, le livre est bien plus épuré, et se finit certes un peu en queue de poisson : les deux jeunes gens parviennent à s'enfuir. Mais ce n'est pas plus mal comme ça, je trouve.
Restent des images oniriques très troublantes, comme cette femme enceinte survolant une ville, puis plongeant brutalement ; ces complexes militaro-industriels futuristes ; ces canons qui lancent des fibres pour ligoter ; Kimura avec son crâne prédécoupé comme une pièce de boucherie ; et puis ces scènes de vol, que Taniguchi a transformé en autant d'hommages à l'oeuvre de son scénariste.
Pour moi, c'est une vraie réussite graphique, et j'ai pris un grand plaisir à lire cette BD, d'ailleurs assez silencieuse (pas d'exposition inutile, sauf un peu vers la fin).