J'avais lu la nouvelle à l'origine de cette BD qui date des années 90 (ou fin 80 peut être) dans l'excellentissime magasine Kaboom et j'avais beaucoup apprécié. Le concept est d'une simplicité redoutable : illustrer un lieu à travers un unique plan (un angle de mur qui délimite l'espace en deux parties égales) sous différentes époques. Sauf qu'au lieu de se faire succéder les époques au fil des cases, l'auteur a la brillante idée de les "superposer" (le terme est un peu maladroit mais je n'en trouve pas d'autre..) dans une seule planche. C'est-à-dire que par exemple, les délimitations de la case vont représenter l'année 1910, mais d'autres petites cases à l'intérieur même de la plus grande vont représenter 1972, 2145, etc. tout en gardant les mêmes échelles visuelles. On a donc un peu l'impression d'observer un lieu à différentes époques à travers de petites fenêtres.
Dans sa nouvelle, McGuire exploite son idée sur quelques pages et j'avais trouvé cela excellent. L'idée était vraiment originale et fonctionnait très bien. Or, il décide, 25 ans après, de développer cette idée cette fois sur plus de 300 pages. Et c'est là que le bât blesse : c'est trop, beaucoup trop. En fait, le problème ne réside pas tant dans la longueur elle-même, mais dans le manque de renouvellement de son "récit". En effet, pour que sa BD ne s'arrête pas simplement à un bon concept, McGuire tente de jouer sur différents éléments pour nous donner une interprétation du temps, de l'espace, de notre rapport à celui-ci ou encore d'une certaine vanité dans l'entreprise humaine (je me permets une petite analyse pompeuse, vous m'excuserez). Pour cela, il joue sur le rythme de lecture, en multipliant ou diminuant le nombre de fenêtre temporelle, sur les répétions, les croisements entre différentes scénettes illustrant les banalités propres à chaque époques, les nuances graphiques et j'en oublie surement d'autre, plus subtiles.
Malheureusement, là où ce système fonctionnait sur une dizaine de pages en 1990, il s'épuise extrêmement vite dans l'énorme pavé (j'insiste, 300 pages, c'est long) en 2015. Pourtant, on trouve régulièrement des choses très bien pensées, il y a beaucoup de subtilité dans cette oeuvre aux abords presque simplistes, et puis les pages s'enchaînent vite. Mais malgré tout, j'avoue avoir plusieurs fois regardé où j'en étais, car passé l'émerveillement du début, je me suis vite lassé. Le rythme est trop inégal d'une part, et d'autre part le graphisme est à mes yeux beaucoup trop limité. Je ne connais pas le travail de McGuire, mais il est apparemment un peu touche à tout (graphiste, designer, illustrateur,..) et je ne peux pas lui nier des qualités créatives et parfois véritablement esthétiques, mais j'y suis hélas la plupart du temps peu sensible. De manières générales son style est peu précis, et si ça permet dans Ici de créer une certaine distance, comme une forme d'uniformité, de standardisation dans son illustration du temps et du monde qui est assez efficace, je m'en lasse beaucoup trop vite. Ses représentations du passé et du futur (encore plus) me semble peu inspirées, et je ne trouve pas sa palette de couleurs très belle. Bref, pour une BD assez contemplative, c'est problématique.
Lorsque j'ai appris que c'était cette BD qui avait été récompensée du fauve d'or à Angoulême cette année, j'ai été assez motivé de mettre la main dessus. J'avais aimé la nouvelle et je me suis dit que l'auteur avait donc réussi à reprendre son idée originelle avec brio en la développant sur un format plus long. Finalement, je constate que c'est le résultat inverse, et je pense que c'est plus le concept que la BD en tant que tel qui a été récompensée. Il y a aussi, à mon avis, le désir de vouloir élever la bande dessinée à son véritable rang, c'est-à-dire celui d'un art à part entière - et non plus un simple divertissement pour la jeunesse ou pour adultes immatures, comme il persiste encore à être considéré par une majorité - et donc de désigner des œuvres particulièrement originales et intellectuelle, même si elles sont inabouties. Car c'est bien ce qu'est Ici : une oeuvre originale, dans son sens premier, mais qui loupe le statut de chef-d'oeuvre car elle ne réussit pas à dépasser le stade du concept.