Ici
7.4
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Comics de Richard McGuire (2015)

L’an 2014 : plan serré sur un intérieur désert. Sur le mur de gauche, crème, une fenêtre au store à moitié tiré ; sur celui de droite, une cheminée blanche, une bibliothèque dépeuplée et un carton dont on ne sait s’il est là pour alimenter le meuble ou le vider.


L’an 1957 : plan serré sur le même intérieur désert. A gauche, la fenêtre est cette fois ornée de rideaux. Devant elle, un canapé rayé, deux fauteuils, un parc à bébé ; à droite, un tableau surplombe la cheminée. Partout un papier peint fleuri et affreux.


"Ici" débute ainsi par deux années de naissance, celle du livre et celle de son auteur, l’Américain Richard McGuire. Etrange choix, un poil nombriliste pour une aventure temporelle et domestique en plan fixe, pourtant entièrement tournée vers le monde. Dans un cadre de quelques mètres carrés, large comme le salon d’une bâtisse victorienne, on observe des familles s’agrandir, vieillir puis rétrécir, on assiste à la naissance et la mort d’un papier peint (1949-1960). La petite histoire d’un dégât des eaux se télescope avec la bataille pour l’indépendance des Treize Colonies qui donnèrent naissance aux Etats-Unis d’Amérique. A chaque case sa ligne temporelle, dont l’année est matérialisée par un cartouche gris. Sage et méthodique dans ses premières doubles-pages, Richard McGuire se contente d’une, deux ou trois cases (et donc époques), histoire de familiariser le lecteur à son concept de concordance des temps. Avant de déployer toutes ses ambitions.


Car l’Américain ne se contente pas de radiographier l’évolution d’un intérieur américain. Ses quelques mètres carrés lui servent à raconter le monde, du magma primitif d’il y a 3 milliards d’années à l’engloutissement sous-marin promis par le réchauffement climatique. Dans un double mouvement, l’auteur comprime l’espace et dilate le temps, s’offrant ainsi une infinité de possibles, d’instantanés qui s’entrechoquent et entrent en résonance les uns avec les autres. La bande dessinée superpose, substitue ou joue du parallélisme des formes, des usages. Des échos qui se propagent à travers le temps chronologique, mais aussi à travers le temps, plus modeste, de lecture. Ici encourageant le lecteur à être actif en effectuant des allers-retours pour retrouver l’origine d’un dialogue, une chute entamée à la page 30 pouvant se conclure une centaine de planches plus tard.


Pour autant, "Ici" reste festif, chacun pouvant y chercher ce qu’il veut : un éclairage sur ce qui se trouvait à la place de son salon il y a trois cents ans, un traité de sociologie sur la perméabilité d’un living-room américain aux effets de mode (il est étonnant de constater le pouvoir d’attraction d’une cheminée, qui appelle perpétuellement un objet de déco là où, quelques centimètres plus à gauche, le mur d’à côté reste vierge), une vision de ce que peut être la bande dessinée, ou la confirmation que la vie n’est qu’une éternelle répétition dont la plus infime nuance suffit à tout changer.


Il est amusant de voir que la bande dessinée est elle-même l’écho d’un geste entamé il y a plus de vingt-cinq ans et, paraît-il, inspiré par les fenêtres du tout jeune Windows. En effet, McGuire reprend et déploie ici sur 300 pages une composition poétique essayée sur six planches en 1989, dans les colonnes de "RAW", le magazine d’Art Spiegelman. Le noir et blanc originel laissant place à un mélange d’aquarelle, d’acrylique et de gouache. Entre-temps, Richard McGuire est devenu une figure de l’illustration de presse et a signé nombre de livres pour enfants après une première vie en tant que bassiste du groupe post-punk Liquid Liquid.


L’humour selon McGuire est à la fois un exercice de grammaire visuelle, un questionnement existentiel et une blague de cul : quelqu’un sonne à la porte, hors-champ, à la gauche du cadre, ce qui réveille une vieille femme et son bichon assoupis sur un canapé kaki. A droite, là ou devrait se trouver le tapis de la vieille dame, un couple d’Indiens reste coi et interrompt son coït. Ils ont entendu un bruit. D’un côté 1986, de l’autre 1609. La farce se poursuit et gagne en profondeur dans les doubles-pages suivantes, où l’on découvre qu’à la porte, trois archéologues viennent demander l’autorisation de fouiller le jardin, qui fut un haut lieu de la culture amérindienne. De quoi filer le vertige.

Marius
9
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le 8 mars 2015

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Marius

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