Initial D
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Initial D

Manga de Shuichi Shigeno (1995)

Jacky passion tuning, ça n’a jamais trop été ma tasse de thé. Pas plus que ne l’a jamais été la broderie ou les histoires de mariage… ce qui ne m’a pas empêché d’apprécier l’excellent Bride Stories. Pour susciter, chez n’importe lequel de ses lecteurs, un élan d’enthousiasme, il ne faut pas simplement se documenter sur une thématique donnée, mais s’en extasier et – plus délicat encore – avoir ce qu’il faut dans la plume pour nous communiquer la ferveur qui est la sienne. De la passion plein le crayon, voilà pour le projet si on souhaite qu’il aboutisse. Pourquoi Slam Dunk est-il devenu ce chef d’œuvre intemporel quand I’ll et Kuroko no Basket resteront dans les mémoires comme des traces d’étron sous une semelle ? Parce qu’il y avait une méticulosité dans la narration – et plus encore dans le dessin –, parce qu’il y avait des personnages qui donnent envie de les suivre ; il y avait de la fougue sans emportement indu : il y avait une œuvre à part.


C’est avoir des espérances assez déraisonnables que d’espérer du Slam Dunk au tournant quand on se lance dans un manga traitant d’une discipline définie. Mais c’est en tout cas vers cette excellence qu’il faut tendre. Cela vaut mieux que de se tracer une route en ligne droite pour y faire un petit séjour routinier.

Ça a beau faire fumer le pot d’échappement et drifter jusqu’à faire fondre la gomme des pneus ; c’est triste Initial D. Ça n’est pas mauvais, qu’on ne s’égare pas sur mon propos, mais c’est morne. La documentation, elle y est. Étayée, même. Cependant, elle se déballe devant nous sur un support qui peine à donner envie qu’on y attarde le regard.


Est-ce le dessin qui indispose ? Je l’ai cru d’abord. Les traits, sans être excessivement rudimentaires – bien qu’un peu – semblaient s’en tenir à la portion congrue. Mais ça n’a duré qu’un temps, un temps remarquablement court tout du long d’une parution de quarante-huit volumes. Le trait s’est affiné, et même qu’il qu’il est devenu plaisant au regard. C’est pas les graphismes qu’il faut blâmer, c’est la manière dont ils s’annoncent et le propos qu’ils sont amenés à servir. Ou son absence du moins.


Initial D, ça aurait dû m’évoquer un manga de sport qui donne envie de découvrir un monde qu’on ignore, et à la place, voilà que ça m’a rappelé les ides de Mars. Il y était question de moto après tout ; je ne me fourvoie pas en osant la comparaison, aussi malséante puisse-t-elle paraître. Entre les histoires de drame qui entourent les courses auto – parce qu’il faut toujours du drame pour la finalité du drame, on ne peut apparemment pas apprécier un divertissement de longue durée sans virer télé novéla en trois tomes de temps – et des personnages franchement insipides, on se dit que, peut-être, on pourra toujours se raccrocher aux courses.


Qu’ils s’emparent de leurs bolides, tous, et qu’ils roulent à toute blinde sur ces histoires d’amour niaiseuses, qu’on puisse y lire la beauté entre les gaz d’échappement chargés d’un monoxyde de carbone mortel et enivrant. Eh bien, des courses qui vous retournent le palpitant, vous n’en trouverez pas ici. Et c’est là tout le drame : le vrai, pas celui que les protagonistes feignent d’être atteints pour relancer une machine à intrigue qui n’en finit plus de rouiller faute d’entretien. Initial D, un manga sur les courses auto… n’est truffé que de bagnoles qui fusent sans épater le regard du lectorat. La tension, la surprise ? Oubliez. Renoncez. On croit que ça s’améliore par la suite, mais rien n’y fait, même des dessins mieux travaillés. Les courses nous apparaissent invariablement statiques. La vitesse, le risque, tout ça, on n’y croit pas un instant.


Un Need for Speed sur PS1 sera bien mieux garni en intensité en vous exonérant en plus des intrigues accessoires par-delà la carrosserie. Et pourtant, le manga n’a été écrit ni dessiné par un auteur qui fut étranger à ce qu’il nous narrait ici. La documentation est franchement loin d’être superficielle et nous épate par tout ce qu’elle a de détails à mettre en avant. Seulement, entre définir méthodiquement les paramètres de l’extase et éprouver ladite extase, il y a un univers entier pareil à celui qui sépare la carte du territoire. Shuishi Shigeno aura beau cependant parfaire ma culture sur le drift, je ne sourcillerai pas pour autant devant les courses de bagnole dont il se fera le chroniqueur. La mise en scène pèche douloureusement. Le tas de poudre est amassé, il ne demande qu’à remplir ses promesses, mais pas une allumettes ne donnera lieu à l’étincelle que l’on espère.


La lecture d’Initial D est d’autant plus frustrante que l’auteur a vraiment tout pour nous donner envie d’y croire… sauf les moyens qui le lui permettraient. On ne pourra pas dire que l’œuvre, malgré ses circonvolutions ronflantes autour de personnages apathiques, n’est pas le travail d’un passionné, car on sent que l’auteur cherche désespérément à nous happer dans son monde. On le sent, mais on ne le voit pas.


Alors les courses se suivent et se ressemblent… et pendant plus de sept-cent chapitres. Bien assez tôt, on voit s’élancer les bolides comme une vache regarderait passer le train. Oui, c’en devient si routinier que ça fait même tapisserie dans le décor. Et ça ne devrait pas.


Tout ce que le manga comporte de dialogues est soit constitué de drames mille fois lus ailleurs ou bien encore de longs – voire interminables – préliminaires maladroits n’ayant vocation qu’à aboutir à une course. Avec une telle durée de vie qui a excédé de longtemps les limites du raisonnable, Initial D se cherche sans cesse de prétexte pour faire vrombir les moteurs.

- C’est terrible que Kaori se soit suicidée.
- Ouais… terrible, terrible.
- …
- …
- On se fait un drift ?
- Oh putain, j’ai cru que tu me le proposerais jamais.

Voilà quel effet me font chaque dialogue. L’intrigue est là en garniture dans une assiette où on n’y présente aucun plat de résistance. Alors on a faim. Et le peu qu’on parvienne à grappiller, on le régurgite. Parce qu’au menu, c’est sans cesse le même repas. Et le goût du réchauffé , à l’usure, engourdit les papilles bien plus tôt qu’on ne le croit.


Prenez dix chapitres au hasard sans savoir de quel tome ils parviennent, contemplez les courses, et cherchez à identifier à quel moment de l’histoire se situent chacune d’entre elles : vous n’y parviendriez pas. Plus identiques les unes que les autres et franchement inintéressante pour ce qui tient à leur scénographie, les courses ne sont plus que des balades somnolentes sur des parcours qu’on jurerait avoir vu cent fois. Les visages ternes et inexpressifs des personnages n’aident en rien à éprouver le moindre sentiment quand à ce qui se joue. Il faut les voir pour y croire. Oui, c’est frustrant de se dire que le cœur, jamais, ne se soulèvera dans notre poitrine en voyant pourtant fondre des bolides lancés à pleine vitesse sur des routes escarpées. Y’a un raté quelque part. Et si j’ai vibré devant des mangas de compétition aux enjeux autrement moins mortels, j’en déduis que le problème ne vient pas de moi. Ce ne sont pas tant mes sens qui sont émoussés que les serres d’un auteur qui n’a pas su s’emparer de ses lecteurs.


Initial D avait si peu d’intrigue à écrire que je me rends compte, quand je le termine, que celle-ci n’avait en réalité jamais commencé. Une fin aussi ridicule que « je roule seul vers l’horizon » sur cinq pleines pages vides de contenu, c’est une conclusion appropriée pour un manga qui n’aura jamais vraiment su s’introduire sur ses planches. Il fallait que les voitures roulent, alors, péniblement, du bout du stylo, l’auteur aura cherché à les pousser avec un scénario qui n’a vraisemblablement jamais eu vocation à convaincre qui que ce soit de son bien-fondé.


Son aura et sa respectabilité, ce qui pourrait lui garantir un soupçon de postérité dans les âges à venir, Initial D le doit à la bande-son Eurobeat de sa version animée datant de 1998. Une version très courte au demeurant qui, elle, aura su où et quand s’arrêter. Tiens, ça me rappelle une blague :


Un nouveau riche décide de se faire une petite pointe sur l’autoroute avec sa Porsche de blaireau. Il fait nuit, il est seul, il connaît la route, il sait qu’il n’y a aucun radar à l’horizon, alors il se fait plaisir. Quelle ne fut pas sa surprise quand, sur sa gauche, il vit arriver une Peugot 205. Le conducteur ouvre sa vitre côté passager et demande au petit bourge :

- Ti connais Pigeot ?

Forcément, manquer de se faire doubler par un véhicule pareil, ça vexe son homme. Voilà que notre protagoniste appuie sur l’accélérateur, il est à 200 km/h. Après un peu de répit, il entend un bruit de moteur en train d’agonir ; le conducteur de la 205 se retrouve une fois de plus à son niveau. Pour couvrir le bruit monstrueux du moteur, il hurle une fois de plus :

- Ti connais Pigeot ?

Jamais le conducteur de la Porsche n’a été aussi humilié de sa vie. Alors il met le pied au plancher. C’est la première fois qu’il se risque à user du plein potentiel de son véhicule. Il va si vite que les lumières ne sont plus devant lui que de longs traits onduleux. C’est un nouveau monde de perspectives qui s’offre à lui, celui d’une fulgurance à 250 km/h. Et là… à nouveau, ce bruit vient lui esquinter les oreilles. Angoissé, il tourne la tête sur la gauche, et il doit se rendre à l’évidence : le conducteur de la Peugeot l’a rattrapé. La bagnole tremble de partout, le bruit du moteur… indescriptible ; mais il est bien là, sur la voie de gauche. Le bourgeois est estomaqué, il regarde son compteur et il hallucine. En son for intérieur, il se sait vaincu. Alors, quand, à nouveau, le propriétaire de la 205 lui demande : « Ti connais Pigeot », il s’abaisse à lui répondre.

- Oui, je connais. Et alors ?!

- Y sont où li freins ?


Shuishi Shigeno, les freins, il ne les a trouvés que bien trop tard et il a pilé si fort dessus une fois venu le dernier chapitre qu’il sera passé à travers le pare-brise. Ouais, il se sera vautré dans les grandes largeurs.

Josselin-B
3
Écrit par

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le 3 août 2024

Critique lue 92 fois

5 j'aime

Josselin Bigaut

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