Après les 9 volumes de Innocent sa suite directe, Innocent Rouge, débute chez nous. Shin’ichi Sakamoto continue de puiser dans la vie de Charles-Henri Sanson pour mieux faire sien le récit historique et proposer un manga qui fait partie, à mon avis, de ceux à lire un jour ou l'autre.


Bourreau : l’infamie nécessaire


Le temps passe mais les Sanson sont toujours frappés du même opprobre social. Le manga insiste d’ailleurs sur leur isolement : ils vivent à l'écart des autres gens. Après Michel Folco et Giacomo Todeschini, Innocent Rouge nous rappelle que cette condition si elle peut être enviable sur certains points n’est guère enviée. Même les personnes travaillant pour les Sanson ne restent souvent que peu de temps à leur service.


Le bourreau est donc à la fois dans et hors du monde social. Dans parce qu’il est nécessaire à l’administration de la justice du Roi qui lui a donné sa charge. Hors parce qu’il vit en dehors de la ville, isolé, parce que son activité est déshonorante. Aussi les châtiments infligés atteignent autant le corps du supplicié que l’identité des bourreaux qui l’infligent même si ces derniers apprennent à composer avec l’expérience.


Une expérience qui permet de connaître les bons gestes pour que l’exécution se passe sans faute. Si ce n'est pas le cas, la foule gronde. Il est donc nécessaire pour les bourreaux de bien connaître le corps humain pour. Ainsi au domicile des Sanson une salle est consacrée à la dissection des cadavres. Cette activité ne sert pas seulement à tuer plus efficacement : si le bourreau donne la mort il peut aussi sauver des vies grâce à ses connaissances médicales.


Tout va très bien, madame la marquise


Une certaine décadence marque l’atmosphère. Décadence du côté des « élites » qui passent leur temps à intriguer, à faire avancer leurs petites affaires. Versailles reste un monde d’apparence et de manœuvres qui ont pour but d’exploiter le mieux possible l’absolutisme royal. Un cas emblématique est celui des grâces royales : faire valoir ses attributs, enrober la réalité comme il faut et voilà un condamné à mort qui est gracié. Mais les grâces arrivent parfois trop tard… Isn’t it ironic?


Un contraste apparaît alors. D’un côté les fastes, les beaux habits, l’opulence et le gaspillage de ceux qui ont les moyens. Cela se retrouve dans la situation des caisses de l’État avec un déficit qui inquiète et un risque de banqueroute qui apparaît. Pour autant le roi Louis XV souhaite quand même dépenser afin d’offrir un (très) joli cadeau à Madame du Barry. L'origine de l’Affaire du collier de la reine est posée.


De l’autre côté figure le peuple et autres petites gens. C’est sur eux que repose la majorité des taxes, impôts. Á plusieurs reprises dans la série des annonces sont faites concernant un relèvement des taux. Aussi ce peuple qui doit donner toujours plus vit-il dans des conditions précaires. Il est miséreux, ce que le manga rend avec des figures marquées par la saleté, des dents absentes…


Marie-Josèphe versus Charles-Henri


Jusqu’ici tout va bien mais des étincelles apparaissent, qui se retrouvent chez certains personnages comme Robespierre… mais aussi, et surtout, chez les Sanson. En effet, au fil des ans un fossé s’est creusé entre Charles-Henri et sa sœur Marie-Josèphe. Charles-Henri se retrouve à la tête de la famille ce qui le conduit à changer, tant du point de vue physique qu’au niveau de sa pensée. S’il n’a sans doute pas tiré un trait sur toutes ses idées de jeunesse il s’est davantage coulé dans les traditions familiales. Au contraire de Marie-Josèphe.


Cette dernière est sortie de sa boîte, elle a brisé les murs de sa prison. Dans Innocent Rouge, Marie-Josèphe incarne le penchant militant, révolutionnaire que ce soit par ses coupes de cheveux, ses propos, ses coups d’éclats. En plus de défendre sa place dans l’univers des bourreaux elle compte bien se venger des aristocrates, parce que l’un d’eux a éliminé son premier amour. De quoi rendre les relations entre la sœur et le frère encore plus tendues.


Graphiquement, Innocent Rouge continue le sillon tracé par Innocent. Le caractère androgyne des personnages s’efface par moments. Le jeu sur les ombres et les lumières est toujours aussi maîtrisé tout comme les visages, les symboles et allégories. La lisibilité est toujours de mise et on s’arrête parfois lors de telle ou telle explosion graphique, notamment lors des double-pages, comme pour contempler un tableau.


Pour quelques diamants de plus


Innocent Rouge vol.1 exploite parfaitement les thématiques de la série avec des personnages centraux qui ont une réelle présence et une maestria graphique toujours plus convaincante. Le manga de Shin’ichi Sakamoto est un tourbillon envoûtant et sanglant, qui promet de monter encore en puissance au fil des tomes. S’inspirer de cette période de l’histoire de France et nous la montrer du point de vue des Sanson est un coup de maître qui fait de cette série une des incontournables du genre et du manga.


Pour un avis illustré et plus détaillé, voir ici.

Anvil
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le 26 avr. 2017

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