L’inspecteur Kurokochi, je l’ai fantasmé en Vic McKey le temps d’un premier chapitre. Un qui fut prometteur, un qui vous susurrait en tout cas à l’oreille des promesses pour, en toute fin de préliminaire nous hurler bien fort au tympan « EN FAIT NON ! ».
Le « non » était alors aussi tonitruant que catégorique, l’intrigue de l’inspecteur Kurokochi, pourtant partie du bon pied, déviait déjà de la piste après un beau départ. Ç’aurait pu être un The Shield au miso, ce sera Colombo au wasabi. Faut aimer. Y’en a à qui ça plaît, je leur souhaite, à ceux-là, bon appétit. Mais ce met qu’on nous sert, je n’y touche plus, pas même du bout des lèvres.
À proprement parler, Inspecteur Kurokochi n’est pas mauvais. L’intrigue, de longue haleine, est ficelée ce qu’il faudra pour raccorder les éléments scénaristiques entre eux. « Évidemment », me dira t-on en haussant les yeux au ciel, comme si cela tenait de l’acquis. Croyez bien, mes bons enfants, qu’il ne suffise pas d’écrire une intrigue policière pour que tout ce qui en découle aille de soi dans la cohérence la plus absolue. Un polar, c’est souvent mal inspiré, maladroit, âpre à faire monter le soufflé pour qu’il nous soit finalement servi sur une limande. Les autres critiques que vous trouverez ici vous le diront tous ou presque, Takashi Nahasaki, scénariste de ce que vous lirez, en tant que chargé éditorial, aura souvent été la plume de secours de Naoki Urasawa, au point même d’être co-crédité comme auteur de ses œuvres ; de Billy Bat, notamment. Il sait écrire l’homme-là, mais le fait-il à dessein ?
Cohérente, son œuvre, elle l’est au moins dans les grandes lignes. Néanmoins, la crédibilité y apparaît vilainement déficiente. Voilà l’histoire d’un flic japonais corrompu à outrance et…
« Citoyen Bigaut, définissez l’outrance qu’on ne vous fasse pas un procès en exagération manifeste »
… Eh bien, je qualifie d’outrancier le fait qu’un inspecteur de police, avec un salaire de fonctionnaire, ait pu s’afficher – pendant le service en plus – dans une voiture de sport type Ferrari, puisse habiter un véritable palace et dont le patrimoine exhibé dépasse largement le million de dollars. Le Japon contemporain, là où se déroule l’intrigue, n’étant pas à ma connaissance un narco-État, j’ai comme quelque doute quant à la vraisemblabilité de ce qu’on nous sert en entrée. Me dirait-on qu’il est au moins préfet cet homme-là que je pourrais faire semblant d’y croire… mais inspecteur de police.
Vicieux que je suis – vous le savez si vous me lisez de longue date – j’ai poussé la démarche jusqu’à me renseigner sur le salaire d’un inspecteur de police au Japon à ce jour. Le salaire brut serait l’équivalent de 83 000 dollars annuel, le tout dans un pays développé où le coût de la vie – et notamment du logement – y est réputé comme l’un des plus élevés au monde. Et personne dans la police – où Kurokochi compte pléthore d’ennemis – n’a jamais trop eu dans l’idée d’enquêter sur cette fortune ostensiblement mal acquise.
Les déboires que connaîtra Kurokochi, liés à sa situation patrimoniale, ne lui causeront du reste jamais trop de soucis en réalité. Ce ne seront que des aléas dramatiques pour esquisser un semblant de fausse adversité.
Tenez-le-vous pour dit, à Kurokochi, tout lui réussira. Chacun sait, bien entendu, qu’un flic avec des batteries de cuisine au cul, peut très aisément attaquer de front les tenants du pouvoir d’un pays donné. Lui ne m’a en tout cas pas donné l’impression de se fatiguer dans ses œuvres. À le voir faire, ça a l’air si simple de renverser un gouvernement.
Kurokachi n’est pas aussi habile que se prête à le présenter l’intrigue, celle-ci étant faite à sa mesure seulement. S’il est plus malin que tout monde, c’est parce que tout le monde est simplement plus con que lui. On parle d’un complot gouvernemental où les protagonistes – très haut placés dans l’échiquier politique – passent leur temps à mettre la balle dans le filet pour donner le point à qui les confronte. Et c’est pas faute de déballer des moyens pour exécuter la gêne. Dès le premier volume, deux policiers corrompus – ah oui, niveau corruption apparemment, le Japon, c’est pire que l’Amérique du Sud – sont envoyés avec des armes automatiques pour exécuter Kurokachi. Les assassinats de fonctionnaires vertueux, quand ils sont commandés par le pouvoir politique, s’avèrent en principe moins flamboyants. Je vous invite à prendre connaissance de l’assassinat du gendarme Christian Jambert, en périphérie de l’affaire des disparues de l’Yonne pour vous en convaincre. Il aurait fallu à l’auteur se renseigner sur les affaires suspectes quitte à devoir parler à des complotistes de mon ressort, pour dégager une enquête à la fois haletante et crédible. Malgré ses airs de pas y toucher, Takashi nous fera parfois limite du James Bond dans le déballage. Et sans jamais avoir à accuser d'une suée.
Kurokochi, ce flic malin, qui a berné tout le monde grâce à ses réseaux sans jamais se faire prendre, voilà qu’il se dévoile à un petit nouveau pour s’en faire un allié. Mais quel élément, très sérieusement, lui permettait de se convaincre que Seike n’était pas un flic corrompu lui aussi ? Pourquoi lui faire confiance si vite ? Parce que la narration le lui permet. Or, c’est justement ce récit, si permissif à l’endroit de ses protagonistes, qui vous détournera de cette affaire d’état finalement devenue ridicule à force de révélations scandaleuses. Comptez les morts suspectes, on frôle Hiroshima niveau bilan humain ; on est loin d’une enquête sérieuse, clandestine et noueuse, alors que tous les voyants clignotent au rouge dès le premier tome. La mort de personnages si hauts placés à la tête de l’administration et du parlement, quand elle survient en série, alerte même les plus apathiques des contribuables. Y’a pas d’enquête, y’a des pluies de preuves grossières sous lesquelles Kurokochi ira sa mouiller.
Ce polar a sur l’échine plus de peau que lard. Malgré les faux retournements de situation – on n’y croit jamais dès lors où on y réfléchit – le protagoniste principal a simplement saisi une ficelle, tiré dessus durant vingt-trois tomes, jusqu’à ce que le méchant Sawatari lui tombe tout cuit dans le bec et lui dévoile la liste de ses méfaits. Y’avait matière à rouvrir Nuremberg tellement le bilan humain était démesuré.
Que les politiciens et grands commis de l’État soient aujourd’hui, au moins dans les pays dits développés, des ordures, des traîtres, des prévaricateurs et des déviants, c’est entendu. Mais ils le dissimulent, ce que ne font pas vraiment les méchants d’Inspecteur Kurokochi, révélant déjà leur vraie nature après un coup d’ongle porté sur leur masque. De grandes personnalités politiques versées dans des affaires de pédophilie avec des histoires de meurtre en toile de fond, on en a tout un vivier rien qu’en France, et j’imagine que le Japon doit pas être en reste. On parle, après tout, de la patrie qui a inventé le terme « Lolicon » pour habiller ce qu’ils souhaitent justement dévêtir. Mais l’approche d’affaires aussi sérieuses suppose pourtant une avancée plus méthodique, plus subtile. Pas une ruade perpétrée en gros sabots par un protagoniste qui passe son temps à esquiver les balles avec insolence. Une insolence telle qu’elle insulte finalement le lecteur, celui-ci qu’on tient comme tenu de croire ce qu’il voit, bien que la démonstration faite de l’enquête, si elle est cohérente, s’avère finalement grotesque.
Inspecteur Kurokochi se tient à peine mieux dans ses déboires scripturaux qu’un Old Boy et son enquête toute aussi ampoulée, quoi que moins ambitieuse. Il aurait fallu – et très tôt – mettre le « ola » sur les meurtres de hauts dignitaires en cascade ainsi que l’aisance qu’a Kurokochi à venir à bout de tous les obstacles le séparant du très vilain Sawatari. Les personnages, parce qu’ils ne sont pas crédibles non plus dans l’exposition faite de leur ordurerie, compromettent eux aussi le caractère supposément vraisemblable de la trame. Je reprocherai à l’auteur d’avoir manifestement davantage écrit de polars qu’il n’a lu de véritables rapports de d’enquête dans sa vie. Il y a des sagas entière à écrire sur tous les scandales d’état démocratiques de ces vingt dernières années, et il faut pourtant que monsieur Takashi vire dans les outrances invraisemblables au point de rendre son intrigue comique à ses dépends.
Qu’on l’ait d’ailleurs porté aux nues, celui-ci, parce qu’il s’est associé à Urasawa en plus d’une reprise, n’en fait pas une référence. Urasawa, cela se sait, était – et est toujours – lui aussi coutumier de la surenchère débilitante dans ses œuvres. Ceux-là s’imaginent que pour qu’un polar soit trépidant, celui-ci doit être glissé sur un lit de morts et de révélations tapageuses. Le travail commis sur le plan de l’écriture est ici superficiel, le dessin suffira – quoi que les bouilles de Kurokachi sont usantes à la longue – mais ne sera que la garniture d’un plat sans viande. Ça pourra plaire, mais jamais vous n’en serez rassasié.