Au début des années 2000, l’éditeur Image Comics cherche à retrouver son aura dans le panthéon des comics super-héroïque. Pour redonner un souffle épique à son univers, l’éditeur mise sur quatre nouvelles séries : Firebreather, Noble Causes, Venture, et surtout celle qui va rapidement s’imposer comme un pilier incontournable du genre : Invincible.
Robert Kirkman, véritable érudit des comics super-héroïque, est aux commandes de cette fresque. Il va insuffler à son récit une essence à la fois classique et révolutionnaire. Il va rendre hommage aux grandes figures légendaires de MARVEL et DC Comics tout en déconstruisant les codes du genre. Son ambition ? Raconter une histoire où les héros grandissent réellement, où les blessures ne sont pas simplement effacées d’un épisode à l’autre, et où chaque coup porté laisse une empreinte indélébile. Loin des récits aseptisés, Robert Kirkman va injecter une dose de violence brutale et réaliste, rendant les combats nerveux et viscéraux, avec des conséquences irréversibles sur le monde et les personnages.
En juillet 2020, sort l’édition Invincible : Intégrale (Tome 1) chez Delcourt et compile les issues #1 à #13. Si Invincible avait déjà eu droit à une publication française en 2005, cette édition se distingue par son format soigné et sa cohérence éditoriale, en offrant aux lecteurs une porte d’entrée idéale dans l’univers de Invincible.
Le début du récit nous plonge dans la genèse d’un héros : Mark Grayson, un adolescent presque ordinaire, découvre qu’il a hérité des pouvoirs colossaux de son père, Omni-Man. Entre émerveillement et responsabilité, il doit apprivoiser ses nouvelles capacités et trouver sa place dans un monde où les justiciers et les criminels costumés pullulent. Loin d’être une simple copie des histoires d’origine traditionnelles, ce premier acte permet d’explorer en profondeur la dynamique familiale et amicale de Mark, tout en posant les bases d’un univers foisonnant où le danger rôde à chaque coin de rue.
Si l’ascension de Mark en tant que protecteur masqué est intrigante, le scénario peine parfois à maintenir une tension constante. Le rythme s’installe lentement, et l’issue #6 marque une baisse de régime notable. L’action s’essouffle, l’intrigue piétine, et surtout, le dessin ne parvient pas à compenser cette baisse d’intensité.
Cory Walker, en charge des illustrations sur les premiers chapitres (#1 à #7), livre un travail qui divise. Son trait manque de dynamisme et de fluidité, ce qui nuit à l’impact des scènes d’action. Les visages sont figés, les expressions souvent inexpressives, et le rendu des regards héroïques est particulièrement approximatif. Un comble pour un comics qui aspire à capturer la puissance et l’émotion des grands affrontements du genre.
Heureusement, à partir de l’issue #7, l’histoire prend une tournure foudroyante. Omni-Man, présenté jusque-là comme un modèle de vertu et de puissance, révèle sa vraie nature en exterminant sauvagement les Guardians of the Globe, une parodie mordante de la Justice League. Cette scène, d’une brutalité sismique, pulvérise les attentes des lecteurs et redistribue immédiatement les cartes du récit. Invincible ne sera pas qu’un simple récit de super-héros : il s’agit d’un thriller dramatique, où la confiance peut être brisée en un instant et où la trahison se paie dans le sang.
J’en ai pas encore parlé, mais dés ses premières pages, Invincible pioche abondamment dans l’héritage des géants que sont MARVEL et DC Comics, s’amusant à détourner leurs icônes tout en les remodelant à sa sauce. Omni-Man, avec sa moustache emblématique et son statut de protecteur surpuissant de la Terre, rappelle inévitablement Superman, mais sa véritable nature transforme ce modèle de vertu en un conquérant impitoyable. Mais au-delà des simples clins d’œil, Invincible reprend aussi des thématiques chères aux deux mastodontes du comics : l’héritage et la transmission du pouvoir, comme chez Spider-Man, la dualité entre humanité et divinité, un thème cher aux récits sur Superman ou Thor, ou encore la notion d’invasions extraterrestres, omniprésentes chez MARVEL.
Robert Kirkman ne se contente pas d’hommager ces références, il les tord et les brise, injectant une brutalité et un réalisme rarement atteints dans les récits classiques. Là où les univers de MARVEL et DC Comics jouent souvent la carte de l’espoir et du renouveau, Invincible met en avant un monde où les idoles chutent, où les combats laissent des cicatrices indélébiles et où les trahisons redéfinissent les lignées héroïques.
Ryan Ottley arrive aux dessins à partir de l’issue #8, c’est un véritable renouveau artistique. Son trait, plus détaillé, plus expressif et surtout plus percutant, donne enfin à Invincible l’identité visuelle qu’il mérite. Les combats deviennent explosifs, les expressions intenses, et chaque page déborde d’une énergie cinétique qui propulse le lecteur dans l’action. Un immense merci à lui pour avoir sublimé l’œuvre de Robert Kirkman et offert à Mark Grayson un écrin graphique digne de son ascension héroïque.
Mais Invincible ne serait pas ce qu’il est sans le duel titanesque qui oppose Mark à son père. Lorsque Omni-Man dévoile son véritable dessein, le choc est monumental. Le combat entre les deux êtres surpuissants est d’une intensité rarement égalée dans le monde des comics. Plus qu’un affrontement physique, c’est un combat émotionnel déchirant, où chaque coup porté est chargé de trahison, de douleur et de rage. Voir un père anéantir son fils avec une telle froideur est sidérant. C’est une bataille qui marque les esprits, un moment cataclysmique qui prouve que Invincible n’est pas une simple histoire de super-héros, mais un drame familial apocalyptique.
Invincible : Intégrale (Tome 1) est un coup de tonnerre dans le ciel des comics. Robert Kirkman réinvente les codes du genre en apportant une dimension plus réaliste, plus mature et plus violente à l’univers des super-héros. Malgré des débuts graphiquement discutables et un rythme parfois inégal, la montée en puissance est implacable, jusqu’au climax mémorable du combat père / fils. Avec l’arrivée de Ryan Ottley aux dessins et une intrigue qui ne cesse de prendre de l’ampleur, cette première intégrale pose les bases d’une épopée monumentale. Invincible s’impose comme un incontournable du comics moderne, un récit où les idoles tombent et où les héros se forgent dans la douleur et le sang.